"The limits of control" est sans doute la porte la plus étroite pour entrer dans l'univers de Jim Jarmusch. Lent et calculé comme des mouvements de Tai-Chi-Chuan, aux dialogues obscurs et aux images lumineuses, il n'offre au regard que des miroirs auxquels il vous faut apporter le sens vous-même. Ce n'est pas un film, c'est une auberge espagnole... :-)
L'histoire se passe en Espagne, de Madrid à une villa isolée ans la campagne, en passant par Séville. Isaach de Bankolé joue le rôle d'un agent secret (on le suppose, mais peut-être est-il un tueur), homme quasi-mutique, peu expressif, qui refuse pourtant de jouer le James Bond (il y a de la parodie amusée) et qui semble le porteur non d'une mission mais d'un regard et d'une écoute. Dans cette Espagne magnifiquement filmée (comme Jarmusch sait filmer ses villes et ses décors depuis déjà "Stranger in Paradise"), notre homme collecte, de rencontres en rencontres, des instructions codées dans des boites d'allumettes. Sa mission vous apparaîtra vers la fin du film...
Mais peu importe le but de cette quête, le voyage est ici ce qui compte et dans ce voyage les manifestations de l'art. C'est le film de Jarmusch qui côtoie le plus une démonstration à la Peter Greenaway. Comme le réalisateur hollandais, il va mettre en scène le monde et son reflet dans l'art. Isaach va chercher dans la contemplation de l'oeuvre d'art la réalisation du paysage à venir. Chaque épisode du film s'enfonce ainsi dans une redite étonnante entre ce qui a été préfiguré et ce qui se passe en réalité. Les rencontres sont toutes identiques, les personnages parlent tous d'art (musique d'abord,cinéma,musique encore, peinture... ) et Tilda Swindon va jusqu’à dire son amour des scènes de cinéma où personne ne fait rien (Ils ne font rien...). Le réel et le cinéma se mélangent, et le discours de John Hurt ou le court dialogue de Bill Murray éclairent le véritable but de film, cette confrontation presque violente entre réalité et image, entre art et vie... "La vida no vale nada"...
On peut détester ce film, je suis sûr, pour sa lenteur, son inaction, son côté artificiel, et il est clair qu'il s'agit plus d'une construction que d'une intrigue. Personnellement j'adore ce petit film. Je trouve très beau la façon dont Jarmusch nous fait regarder Isaach de Bankolé regardant le monde, et comment il fait glisser sur l'écran le regard de Isaach, regard qui prend celui de la caméra, avant de devenir le nôtre. C'est superbement fait.
La musique est au cœur du film comme on peut s'y attendre, avec une scène magnifique de guitare et chorégraphie espagnole, comme est au cœur du film ces cadres et ces tableaux qui nous amènent vers une toile blanche à recommencer...
Un film sous-estimé, je trouve, à la beauté formelle un poil exigeante, mais non dénuée d'émotion, et qui gagne tout à fait sa place dans le parcours de Jim Jarmusch . Recommandé (prudemment) , guys et guysettes!