The Lobster {Par maccafan21 & Avec Spoilers}

The Lobster, quatrième long métrage du réalisateur grec Yorgos Lanthimos, est un film assez particulier puisque son thème n'est pas clairement fixé. Il pose certes des bases à une réflexion d'ensemble, mais il n'explicite pas ses positions et laisse ainsi à chacun la possibilité d'en faire sa propre interprétation. Comme vous le verrez la mienne s'orientera essentiellement sur la nature des relations amoureuses, or il est tout à fait possible que la vôtre soit très différente, beaucoup de personnes semblant notamment se diriger vers le thème de la solitude... Sur ce, rentrons dans le vif du sujet.


Synopsis : Dans un futur proche, toute personne célibataire est arrêtée, transférée à l'Hôtel et a 45 jours pour y trouver l'âme sœur. Passé ce délai, elle sera transformée en l'animal de son choix. Pour échapper à ce destin, un homme s'enfuit et rejoint dans les bois un groupe de résistants, les Solitaires.


Si la bande annonce du film et ce speech particulièrement original peuvent laisser penser au premier abord que le film est une simple comédie absurde, il n'en est rien. Certes le film n'est pas dénué d'humour, bien au contraire même, mais il s'agit d'un type d'humour avec lequel nous ne sommes jamais totalement à l'aise. En effet, si les situations sont en soit hilarantes de notre point de vue, difficile de vraiment en rire tant l'univers du film et son ton très premier degré les rendent dramatiques. C'est d'ailleurs ce subtil mélange entre aspect comique et ton sérieux qui rend selon moi le film si efficace.


Dès sa première scène, un plan-séquence sans dialogue mais fort impactant, The Lobster annonce la couleur : le film sera dur et demandera au spectateur de consentir à forte suspension d'incrédulité tant les situations peuvent nous sembler improbables. {Pour rappel, la suspension consentie de l'incrédulité est le fait pour un spectateur d'admettre que des choses invraisemblables dans notre monde, le soit dans la fiction que nous propose l'auteur de l'œuvre.}


Au niveau de la forme, on retiendra essentiellement : la photographie qui est une petite merveille de bout en bout, les scènes au ralenti sur fond de musique classique qui sont d'une grande beauté, quelques non dits pertinents tels que la conclusion des scènes où les Solitaires viennent à la rencontre des gens de l'hôtel (le fait que le fusil laissé par le héros sur le canapé lors de son départ du bateau soit particulièrement mis en valeur ne peut signifier qu'une chose : une fin tragique pour le couple) ou bien la dernière scène où l'on voit la chef de ces mêmes Solitaires (le personnage principal l'enterrant à visage découvert, ce qui du fait d'une scène antérieure est suffisant pour comprendre qu'elle va se faire bouffer par les chiens qui l'entourent).


Notons également le montage alterné entre trois scènes se déroulant dans l'hôtel, scènes qui expriment respectivement la sanction des plaisirs solitaires, le rappel des plaisirs sexuels partagés et la sécurité qu'apporte la vie de couple. De par son intensité et sa variété, cette séquence s'avère être l'une des plus réussies de du film. Très représentative de la première partie du métrage, elle est d'ailleurs complétée par tout un tas d'autres éléments qui vanteront eux aussi les mérites d'être en couple. Quelques exemples : le fait de passer sa première journée à l'hôtel avec une main attachée dans le dos pour démontrer que le quotidien est plus simple à deux, l'orientation des tables des personnes célibataires au restaurant qui sont toutes orientées en direction de celles des couples, l'homme gérant le stand de tir qui précise que ce n'est pas un hasard si la cible est une personne et non un couple, etc.


La seconde chose à revenir sans cesse est la nécessité d'avoir un point commun avec son partenaire potentiel, faute de quoi la relation ne pourrait aboutir. Là aussi les exemples sont nombreux : la myopie qui est le signe distinctif du héros (sa femme le quitte d'ailleurs pour un homme à lunette tandis que lui crée plus tard des liens avec une Solitaire myope), les saignements de nez (l'homme qui boîte cherche tout d'abord une femme qui souffre du même handicap que lui, mais, ne trouvant pas, décide de se cogner la tête jusqu'à saigner du nez afin de pouvoir se mettre en couple avec la femme dont les saignements de nez sont la particularité), la qualité des cheveux (la femme aux beaux cheveux refusant de sortir avec le personnage principale au motif que celui-ci a les cheveux trop secs), ou même l'absence de sentiments puisque le héros va essayer de se faire passer pour un homme sans cœur afin de sortir avec la femme qui n'a elle-même aucun sentiment. Cette dernière particularité est d'ailleurs fort bien exploitée puisqu'en plus d'apporter une bonne dose d'humour et de violence, elle aboutit à ce qui est l'une des scènes de sexe les plus pertinentes scénaristiquement que j'ai vu à ce jour. En effet, si le héros réussi à tromper un temps la femme sans cœur, il se fait néanmoins démasquer lors d'une relation sexuelle ne parvenant pas à masquer son plaisir.


Mais outre ses nombreuses qualités déjà citées, c'est vraiment avec sa scène finale que le film m'a définitivement mis sur le cul. En effet, comme je le disais en introduction, cette fin est particulièrement ouverte et permet selon le choix effectué par le personnage bon nombre d'interprétations toutes aussi intéressantes les unes que les autres.
Selon moi, dans le cas où il se crèverai bien les yeux afin d'être aveugle comme la femme qu'il aime, il se bornerai dans l'idée qu'il faut nécessairement une particularité commune pour former un couple, et ainsi, même si le geste serait évidemment beau, il s'agirait plutôt d'une fin déprimante dans le sens où la notion de sentiment serait définitivement mise en retrait. Alors que dans le cas contraire, l'amour véritable pourrait reprendre le dessus s'il lui explique ne pas en être capable de passer à l'acte, qu'il l'aime malgré cette absence de point commun et que rien n'empêche réellement qu'ils fassent leur vie ensemble. Bien sûr, comme je le disais en introduction, il est tout à fait possible que votre vision de cette fin soit très différente tout mais tout aussi crédible. C'est là toute la force d'une fin ouverte quand elle est réussie.
Enfin, j'ai beaucoup aimé le fait que le tout dernier plan nous mette dans la même position que le personnage visible à l'écran, une situation d'attente semblant interminable et renforçant ainsi l'effet du cut final.


D'une manière plus globale, le fait de restreindre les relations amoureuses à des particularités communes, et non à des émotions, n'est pas sans rappeler le fameux dicton "qui se ressemble s'assemble". Caricaturant celui-ci jusqu'à le rendre risible, le réalisateur rappelle ainsi qu'il ne doit pas être pris au pied de la lettre, faisant notamment écho aux sites de rencontre de notre réalité qui usent souvent de procédés anti-sentimentaux de ce type en simplifiant par exemple les rapports humains à des centres d'intérêt.
À l'inverse, de manière tout aussi caricaturale, les Solitaires sont eux contre toutes relations amoureuses et sexuelles. Il pourrait par conséquent représenter les personnes qui se refusent à leurs sentiments, comme par exemple l'individu qui met un point d'honneur à rester célibataire jusqu'à un âge certain afin de "profiter de la vie".


En abordant ces nombreuses facettes d'une relation amoureuse à travers des points de vue caricaturaux, il en ressort une idée simple : nous avons la chance de pouvoir choisir avec qui nous mettre en couple et quand le faire, alors profitons-en.
À aucun moment dans le film il n'est précisé la raison pour laquelle les individus cherchent à tout prix à se trouver un point commun, pour autant tout laisse entendre qu'il ne s'agit pas d'une règle impérative mais bien d'une norme sociale à laquelle les personnages se forcent à obéir... Ne cherchons donc pas à répondre à une certaines pression de la société qui nous pousserez à nous mettre en couple pour de mauvaise raison (c'est le cas du personnage principal lorsqu'il se met par défaut en couple avec la femme sans cœur), à être mal accompagné plutôt que seul au motif que nous avons passé un âge limite pour le célibat, ou au contraire à ne pas nous mettre en couple avec quelqu'un au motif que l'on serait trop différent de celle-ci sur le papier.
Le maître mot est définitivement le choix, le choix de faire passer les sentiments avant une quelconque nécessité de répondre à des règles sociales quelles qu'elles soient.


Pour terminer, voici un petit listing non exhaustif de moments que j'ai beaucoup apprécié dans The Lobster, et que je n'ai pas encore abordé dans cette critique :



  • L'usage ingénieux du hors du champ lorsque le personnage principal est interrogé à son arrivée dans l'hôtel. En effet, quand on lui demande si l'on doit l'inscrire en tant qu'hétérosexuel ou homosexuel, il n'arrive pas à se décider et c'est alors que l'on entend des bruits de talons en dehors du cadre. Le héros porte alors un regard dans cette direction et hop, son choix est fait, hétéro.

  • Le choix des animaux dans lesquels les personnages voudraient être transformés faisant parfois référence à leur particularité en tant qu'être humain (perroquet pour l'homme qui zozote, espérant ainsi pouvoir enfin "parler" normalement ; Poney pour la femme aux jolies cheveux afin de conserver sa jolie crinière ; etc.).

  • Le thème musical avec les coups de violons incessant que l'on retrouve tout au long du film. [Extrait du String Quartet No. 8, Op. 110 - IV. Largo de Dmitri Shostakovich]

  • Le casting qui est une réussite totale à mes yeux, y compris pour Léa Seydoux et Colin Farrell. Je le précise car j'ai l'impression que tout deux font l'objet d'un désamour quasi-général du public. Alors, il est vrai que je ne connais pas suffisamment leurs carrières respectives pour savoir si cela est justifié ou non, donc je ne vais pas prendre position au sens large, mais concernant ce film en particulier ils sont à l'image du reste de la distribution, très bon.


Le seul défaut qui me vient à l'esprit à propos du film, et encore il est assez minime, est la voix-off qui me semble un peu trop présente dans la première demi-heure. Certes ses interventions sont plutôt pertinentes dans l'ensemble, seulement elle se contente parfois de décrire ce que l'on voit à l'image, ce qui ne me paraît pas réellement utile.


Bref. The Lobster est un film qui pourrait déconcerter une partie du public de par son humour noir et son atmosphère volontairement pesante, mais qui se révèle être incontestablement un des films de l'année à partir du moment où l'on adhère au concept. Une merveille autant sur le fond, donnant tout son sens au proverbe "l'amour rend aveugle", que sur la forme!

maccafan21
9
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le 31 août 2019

Critique lue 423 fois

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