Ça casse pas trois pinces à un homard

The Lobster (le homard donc) est une fable fantastique à mi-chemin entre un délire absurde à la façon Terry Gillian (Brazil) et une dystopie à la Orwell. Le problème avec ce genre de film qui vous embarque dans sa non-logique très spécifique c'est qu'il doit paradoxalement se construire sur davantage de rigueur que tout autre film. Tout simplement parce que c'est déjà assez compliqué d'adhérer à une histoire abracadabrante mais si en plus le scénario présente des incohérences ou des choix esthétiques bizarres eh bien ça fait trop pour un esprit un tant soit peu cartésien.
Et c'est le problème qui se pose avec The Lobster. On voit bien que c'est un film osé, original, intéressant même, mais il est pollué par toutes sortes de bizarreries dont on cherche en vain la justification.
Petit passage en revue :
- Construction : le film est construit de façon symétrique, comme un diptyque. Une première partie dans un hôtel concentrationnaire où il faut absolument trouver l'âme soeur sous peine d'être transformé en animal, la seconde dans une forêt où au contraire il faut obligatoirement rester seul au risque de subir les pires tortures. Le problème est que ces deux parties ne communiquent pas entre elles ou très peu (juste par les épisodes de chasse et par des raids nocturnes très artificiels). On perd de vue, sans raison, les personnages du début de l'histoire et surtout, la transformation des gens en animaux est totalement abandonnée. Elle n'est même pour ainsi dire jamais traitée. Il y a de ce point de vue erreur sur la marchandise car le pitch de départ pouvait laisser entendre une exploitation bien plus profonde de cette idée. Frustrant.
- La narration : pourquoi donc adopter ce mode narratif - une femme qui raconte ce qu'on voit -dans la première partie ? En fait, cela ne sert à rien si ce n'est à dédoubler inutilement le récit. Par ailleurs, cette narratrice s'avère être un personnage de la seconde partie sauf qu'on se demande bien comment elle peut nous raconter tout cela en détail sans jamais y avoir assisté. C'est un classique des problèmes de narration, un narrateur totalement omniscient peut difficilement être un personnage du film.
- La musique : des notes tonitruantes viennent surligner certains passages tendus du film. Comme pour la voix off de la narration, cette musique est inutile et redondante.
- Le mélange des genres : soit on est dans l'absurde complet et dans ce cas ça fonctionne comme les passages en ville de la deuxième partie. Mais dès que l'on revient sur du réalisme comme lors de la confrontation avec la chef (Léa Seydoux) on retrouve des motifs de type film d'action/d'évasion qui ne collent pas du tout avec l'absurde. Bref pas facile de frissonner pour des personnages qui agissent de façon aussi délirante.
- Les scènes qui restent en plan : par exemple la scène d'introduction. Il y a un âne qui prend cher et on ne sait finalement pas trop pourquoi. Léa Seydoux s'écroule comme mortellement touchée lorsque sa "copine" est blessée (scène d'ailleurs très très mauvaise) puis se relève. Mais pourquoi cette mise en scène ? C'est absurde dans l'absurde.
- La cohérence des personnages : dans Brazil de Terry Gilian, le personnage est pris dans un univers kafkaïen et on voit qu'il ne peut pas s'en sortir. Son comportement est pourtant cohérent dans ce monde de dingues. Dans The Lobster, le problème est que les personnages n'ont aucune cohérence dans un monde malgré tout réaliste. Ainsi que penser du personnage joué par Léa Seydoux ? Quel est son rôle ? Qui ou quoi l'ont amenée à agir comme elle le fait ? De même de Colin Farell. On a vraiment envie de lui dire : bouge toi de là, get out !, change de forêt, mets-lui la totale à la Seydoux, te laisse pas faire... fais pas ton homard. Bon, il finit pas ébouillanté mais le sort qu'il se réserve n'est pas des plus agréables...


Quelques moments de poésie visuelle très réussis sauvent en partie le film mais l'ensemble reste assez indigeste et décousu.


Personnages/interprétation : 4/10
Scénario/histoire : 5/10
Mise en scène/réalisation : 7/10


5/10


P.S : si vous aimez les films de homard je vous recommande ce petit court métrage bien marrant avec narration et point de vue originaux.
https://www.youtube.com/watch?v=1pqtu5dJIQ4

Créée

le 31 oct. 2015

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Theloma

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