Dès la première scène, je jubile. Un dialogue entre deux personnes dont l’une d’entre elle est hors du plan. Un cadrage de mise pour signifier que ce deuxième membre de la « paire » n’existe déjà plus dans la représentation officielle. Parce que dans ce monde en tout traits physiques proche du nôtre, les relations amoureuses se limitent à un statut que l’on a, ou non. Pas de place pour les sentiments ou pour l’intimité réelle ; dès que leur couple se brise, les célibataires sont envoyés dans des hôtels dans lesquels ils ont 45 jours pour trouver un partenaire. Encadrés par du personnel de tout type, leurs relations aux autres sont jugées et jaugées et tout acte hors de la « norme » du couple est violemment réprimé.
Dans cet espace gonflé d’autoritarisme, aucune place pour l’Amour dans la perception moderne et occidentale que nous en avons. L’amour ne réside pas dans des sentiments ou des aspirations semblables, mais dans des traits physiques communs très précis. Désespérés de ne pas trouver l’amour, les personnages finissent par se mutiler afin de s’infliger la caractéristique physique qui leur permettra de rencontrer leur âme soeur, ou plutôt, leur couverture.
Le plus gênant dans The Lobster, c’est que l’on ne comprend jamais où Yourgos Lanthimos veut en venir ni le message qu’il souhaite nous transmettre. Et le recul de la réflexion n’y fait rien et nous perd encore un peu plus.
Alors que l’amour est un devoir, tout le monde est conscient qu’il s’agit de quelque chose de faux. Pourtant, chacun accepte le mensonge pour entrer dans le moule social que la société inflige. Ici réside pour moi l’intérêt du film : on est amené à réfléchir à la manière dont l’individu se confronte aux exigences sociales et comment il parvient à finalement se trouver, ou non. On peut voir que certains, tels ta directrice de l’hotel et son mari, parviennent totalement à s’approprier ces règles et même orchestrent ce système, même si ils sont intimement très loin d’adhérer réellement à ce système, comme en témoigne une scène tragique et violente de vérité. D’autres au contraire refusent de se soustraire à ces règles imposées et entrent dans le camp des Solitaires. Mais la désillusion est immense : même dans ce groupe représentant les marginaux de cette société, des règles les empêchent encore une fois de trouver et d’affirmer leur personnalité profonde. En effet, le clan des révolutionnaires se construit en parfaite opposition au clan de la majorité ; un peu comme dans toutes les révolutions, la mesure n’est pas de mise.
Ce système absurde entraine des réactions absurdes mais aussi compréhensibles : dans une telle société, on aurait surement réagi de la sorte. Aussi, derrière cette histoire se cache une analyse de l’enchainement qui pousse une idéologie à la dérive de masse. Cette situation nous menace tous, tant que nous vivons portés par un corpus historique et social duquel nous ne pouvons pas nous détacher pour survivre - et dans The Lobster, c’est bien de survie qu’il s’agit par exemple lorsque les solitaires sont traqués par les célibataires prêts à tout pour un jour de plus de vie humaine.