Uncharted
Avec six films à son actif en vingt-deux ans de carrière, James Gray est un réalisateur qui sait se faire désirer. Dans The Lost City of Z, Gray abandonne la jungle New-Yorkaise qu’il connaît si bien...
le 19 mars 2017
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S'aventurant pour la première fois hors des sentiers New Yorkais, James Gray nous offre avec The Lost City of Z une magnifique fresque intimiste d'un classicisme toujours plus moderne. Et que la jungle soit urbaine ou amazonienne, le regard mélancolique posé par le réalisateur, sublimé ici par la photographie du désormais notoire Darius Khondji, nous familiarise toujours à cet environnement hostile.
La première scène du film nous plonge directement dans un autre univers que celui auquel nous avait habitué James Gray : une chasse à la cour en Irlande et la poursuite d'un cerf. Bien que raillé par les autres cavaliers, c'est bien notre héros Percy Fawcett - joué par un prometteur Charlie Hunnam - qui parvient à tuer le cervidé, en déviant du chemin pris par ses concurrents. Fawcett nous apparaît donc comme un chasseur de cerfs, un Deer Hunter. La référence au film de Michael Cimino (Voyage au bout de l'enfer en français) n'est pas qu'anecdotique et sera développée tout au long du film. Les rapports entre la jungle et la vie occidentale sont en effet abordés ; et bien qu'elle soit moins exploitée par James Gray, la déconnexion du personnage principal lors des retours à la « vie normale » est traitée avec minutie.
On retrouve au sein du récit tous les thèmes chers au metteur en scène. De la même manière que les personnages joués par Joaquin Phoenix dans La Nuit nous appartient et Two Lovers, Percy Fawcett est lui-aussi amené à devoir faire des choix. Céder aux appels de la forêt, c'est renoncer à sa famille ; et rester auprès de sa famille, c'est renoncer à la forêt. Et une nouvelle fois, ces choix restent liés à la famille, autre thème cher à James Gray. Dans tous les films du cinéaste, sans exception, la famille est en effet le centre du récit, le lien dont le personnage principal ne peut complètement se détacher, que ces liens soient affectifs ou moraux. Si la famille est souvent la pierre angulaire de la vie du protagoniste, elle représente néanmoins toujours une certaine entrave par rapport aux différents choix qui se présentent à lui. Face à l'invitation au voyage, la famille symbolise donc la contrainte affective qui retient Fawcett en Angleterre.
À la différence du Marius de Pagnol, c'est l'expérience de l'aventure qui façonne son envie d'ailleurs, et non son idéalisation du voyage. Une fois passée la première aventure, il ne pense en effet plus qu'à une chose : y retourner. Y retourner pour ne pas avoir à regretter toute une vie les rives de l'Amazone, tel un Jean Gabin nostalgique des berges du Yang-Tsié-Kiang dans Un Singe en hiver. Mais plus que par la simplicité du voyage, Fawcett est animé par une toute autre illusio, dans le sens bourdieusien du terme : celui de l'aventure et de la découverte par sa foi au progrès et en l'humanité. On peut donc d'une certaine manière le rapprocher finalement de ce Marius lui-aussi bercé par l'inconnu. Alors que ses compagnons perdront tour à tour cette illusio de l'explorateur, Fawcett la conservera jusqu'à la fin. Comme un Aguirre illuminé par la recherche de l'Eldorado dans le film éponyme de Werner Herzog, Fawcett persévérera toujours dans son être, dans sa quête infinie de cette « lost city of Z ».
S'il effectuait son premier voyage uniquement dans l'objectif de gagner en reconnaissance dans cette société de noblesse où le titre devient le gage de tout, il se rend compte par la suite de l'absurdité de ces visées ; et voit finalement à travers son nouveau périple un moyen de bousculer la morale chrétienne et l'ordre établi. On retrouve donc un homme profondément moderne, en avance sur son temps, établissant l'échec et l'absurdité de la civilisation chrétienne, lui-seul étant capable de se lier d'amitié avec les indigènes. Mais face à lui se trouve finalement un personnage encore plus moderne en la personne de sa femme Nina, dont l'interprétation toute en douceur et simplicité de Sienna Miller la distingue. Car Percy Fawcett reste en effet bloqué dans une société patriarcale qu'il ne perçoit pas toujours, tandis que Nina se démène pour lui prouver que sa condition féminine n'est pas un obstacle à la dure vie de l'Amazonie. Les vers de Baudelaire de L'invitation au voyage raisonnent alors dans les paroles de Nina, malgré que Percy se refuse à les entendre :
Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Après l'étape de la résignation et de la guerre, le film se termine sur une note très poétique, qui laisse le mystère entier. Des nuances plus mystiques imprègnent le film de manière croissante, ce qui contraste avec les accents davantage réalistes des films précédents du cinéaste. Le film pose en effet cette question de la recherche du "Z", de cette entité impénétrable, souvent inconnue et idéalisée, de cet objet indéfinissable et probablement introuvable, et de l'espoir intemporel et déraisonnable qui en découle. Mais si Marius, plus camusien, aura constaté l'absurdité de cette recherche, Fawcett lui confiera le gouvernail de sa vie.
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Créée
le 18 mars 2017
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