Il paraît y avoir désormais trois sortes d’écoles en Russie en termes de réalisateurs. Ceux attachés à l’héritage d’un cinéma touchant au sacré, hantés encore par la figure d’Andreï Tarkovski (Andreï Zviaguintsev, Boris Khlebnikov, Sergeï Loznitsa…). Ceux qui cherchent justement à s’en défaire et à tout chambouler, ancrés de plein pied dans les vicissitudes d’une contemporanéité brute et sans pitié (Anguelina Nikonova, Valéria Gaï Guermanika, Ivan I. Tverdovsky…). Et ceux enfin qui s’appliquent sagement à singer le cinéma d’Hollywood, avec Timur Bekmambetov en tête de proue passée depuis chez l’ennemi.


Yury Bykov, jeune metteur en scène qui réalise là son deuxième long métrage après Zhit en 2010 (une partie de chasse qui tourne à la chasse à l’homme), fait visiblement partie du deuxième lot, génération bouillante prête à en découdre avec des institutions d’État qui se refusent à financer et approuver des œuvres qui les critiquent ouvertement. Si l’intrigue de The major repose d’abord sur un état des lieux assez terrifiant de la corruption administrative, quasi inhérente à une société russe actuelle en pleine déliquescence, elle prend ensuite un tournant plus psychologique et plus moral. On devinera même dans Sergey, flic anti-héros et meurtrier malgré lui (il renverse un enfant alors qu’il se rend à l’hôpital où sa femme va accoucher), une variation moderne du Raskolnikov de Crime et châtiment.


Rongé par la culpabilité et le remords, Sergey va devoir combattre les tourments de sa conscience (se dénoncer et aller en prison, ou ne rien dire et dissimuler le crime ?) et échapper à la fureur de ses collègues. L’ennemi est autant intérieur qu’il est extérieur, plus apparent, voire universel. Les innocents et les pauvres n’auront droit à aucune chance, et cette famille lambda prise au piège d’un infernal engrenage policier se verra graduellement éradiquée pour éviter tout scandale (le fils d’abord dans l’accident originel, puis le père, puis la mère). Les salauds ont la peau dure, surtout quand elle est travaillée par le froid, la glace et la vodka. Ici il n’y aura pas la moindre compassion, pas une once de sentiments ni de repentir.


Il faut pouvoir continuer à (sur)vivre sans inclure la logique de l’autre dans la sienne (Sergey vient d’être père, son co-équipier exécute aveuglément les ordres, son supérieur protège ses intérêts…). C’est sec, ça claque et c’est rugueux, à l’image de ces paysages gris sales et blancs sinistres. Bykov se frotte vaillamment à une noirceur sans fin, vertigineuse, et si même la conclusion patine, si même le jeu des acteurs semble parfois approximatif, si même le film laisse sur sa faim, indécis et partagé, son Major jauge avec volonté une société engourdie dans l’indifférence, et visiblement incapable de se remettre en question.


Article sur SEUIL CRITIQUE(S)

mymp
6
Écrit par

Créée

le 18 sept. 2019

Critique lue 199 fois

1 j'aime

mymp

Écrit par

Critique lue 199 fois

1

D'autres avis sur The Major

The Major
LâneFourbu
7

Une victoire à la pire russe

En se rendant à la maternité pour l’accouchement de sa femme, un capitaine de police renverse un gamin sous les yeux de sa mère. N’ayant aucun autre témoin, il séquestre la pauvre femme et appelle...

le 14 déc. 2013

6 j'aime

4

The Major
Jeremy_Coifman
7

Critique de The Major par Jeremy Coifman

Dans un petit bourg de Russie froid et morne, Un commandant de police renverse un enfant. De cet événement, tout va s’enchaîner pour le pire. C'est un peu maladroit dans l’exécution du scénario et...

le 21 oct. 2013

2 j'aime

The Major
mymp
6

Slave et châtiment

Il paraît y avoir désormais trois sortes d’écoles en Russie en termes de réalisateurs. Ceux attachés à l’héritage d’un cinéma touchant au sacré, hantés encore par la figure d’Andreï Tarkovski (Andreï...

Par

le 18 sept. 2019

1 j'aime

Du même critique

Moonlight
mymp
8

Va, vis et deviens

Au clair de lune, les garçons noirs paraissent bleu, et dans les nuits orange aussi, quand ils marchent ou quand ils s’embrassent. C’est de là que vient, de là que bat le cœur de Moonlight, dans le...

Par

le 18 janv. 2017

182 j'aime

3

Gravity
mymp
4

En quête d'(h)auteur

Un jour c’est promis, j’arrêterai de me faire avoir par ces films ultra attendus qui vous promettent du rêve pour finalement vous ramener plus bas que terre. Il ne s’agit pas ici de nier ou de...

Par

le 19 oct. 2013

180 j'aime

43

Seul sur Mars
mymp
5

Mars arnacks!

En fait, tu croyais Matt Damon perdu sur une planète inconnue au milieu d’un trou noir (Interstellar) avec Sandra Bullock qui hyperventile et lui chante des berceuses, la conne. Mais non, t’as tout...

Par

le 11 oct. 2015

162 j'aime

25