The Monkey
5.4
The Monkey

Film de Oz Perkins (2025)

« Tout le monde meurt, et c’est la vie ! »

L’un des plus grands plaisirs que l’on puisse ressentir au cinéma, c’est de se retrouver devant un film qui n’a rien à voir avec ce que l’on pensait qu’il serait : ce genre de surprise n’a pas de prix, tant, après des décennies de cinéphilie, on s’ennuie vite devant l’exécution, même réussie, de recettes rabâchées, usées. Et finalement, la qualité intrinsèque du film devient moins importante que les surprises qu’il nous réserve. Aller voir un film comme The Monkey, l’histoire d’un jouet maléfique qui déclenche la mort autour de lui, d’après une nouvelle de Stephen King publiée en France dans le recueil Brume, avec James Wan à la production, c’est s’attendre à une certain « genre » de cinéma, parfois divertissant, souvent calamiteux, mais finalement très codé.

Evidemment, le nom d’Osgood Perkins (ou Oz Perkins) à la réalisation intrigue : le fils d’Anthony Perkins (et frère d’Elvis Perkins, le musicien) s’est déjà fait une solide réputation d’auteur disruptif, en particulier avec son film Longlegs. Cette fois, il approche The Monkey d’une manière particulièrement iconoclaste, qui va transformer un projet assez convenu au départ en grand WTF. Car King, fidèle à ses sujets de prédilection, travaille dans sa nouvelle, à travers cette « malédiction » classique de jouet déclencheur du « mal », des sujets aussi complexes que la culpabilité refoulée d’un père ayant souhaité la disparition de son enfant, ou, par effet miroir, l’impact chez l’enfant du contrôle de son instinct de destruction et du rapport de cette frustration avec la créativité artistique. Ce sont là de bons moteurs pour faire un film intéressant, et riche, mais Perkins s’approprie totalement l’histoire pour lui faire raconter ce qui lui importe, à lui, personnellement.

« Everybody dies, and that’s life. » : cette phrase répétée par la maman des jumeaux Hal et Bill (Christian Convery quand ils sont enfants, Theo James quand ils sont adultes…), personnage burlesque mais solaire, porteuse d’une énergie vitale magnifique dans son humour noir, définit parfaitement le film de Perkins. Alors qu’on pense d’abord regarder The Monkey comme une version joyeusement trash et gore de la série Destination Finale, il se révèle plutôt une tentative de conjurer la peur qu’ont les enfants de voir mourir leurs parents ou les parents de perdre leurs enfants, par exemple dans un accident aussi injuste qu’inexplicable et inévitable. Morte dans l’un des avions détournés et jetés par les terroristes contre le World Trade Centre, Berry Berenson, la mère d’Osgood et d’Elvis, est donc ramenée à la vie dans le film de son fils, avec cette question, à laquelle nul ne saurait répondre, sur la cruauté infinie du hasard (Impossible d’ailleurs de ne pas rire à la représentation dans le film de l’incapacité pitoyable de la religion à apporter une réponse pouvant apaiser la douleur de « ceux qui restent » !). Nous n’avons par contre pas assez d’éléments pour savoir si la relation conflictuelle opposant les deux jumeaux dans le film est de quelque manière que soit une recréation de la réalité des rapports entre Elvis et Osgood, mais il faut bien remarquer que dans le texte de Stephen King, il n’y a pas de frères jumeaux…

Au delà de ces éléments très personnels qui font finalement de The Monkey un véritable « film d’auteur », il est tout à fait possible de le regarder comme une comédie foutraque, excessivement gore, peuplée de personnages grotesques et décalés, avec des acteurs qui s’amusent visiblement énormément : on pense à l’excellent prologue, avec un Adam Scott qui semble ravi de sortir de l’univers de Severance, ou encore à la scène hallucinante avec Elijah Wood en « expert de la paternité », deux exemples de moments où le film correspond tout à fait et aux ambitions de Perkins et à nos attentes.

Tout n’est pas malheureusement aussi réussi, et après une première partie foudroyante, The Monkey s’enlise dans une histoire pas très bien écrite, maladroite, gâchant la pertinence du propos du film : on enrage en se disant qu’on est passé à côté d’un vrai bon film, et qu’on n’a finalement qu’un OFNI bancal. Heureusement, l’excellente dernière scène, organisant une rencontre spectaculaire avec la Mort dans ses oripeaux mythiques, fait qu’on sort de la salle avec un sentiment très positif. Et qu’on surveillera désormais avec intérêt la trajectoire d’Osgood Perkins.

[Critique écrite en 2025]

https://www.benzinemag.net/2025/02/20/the-monkey-de-osgood-perkins-tout-le-monde-meurt-et-cest-la-vie/

EricDebarnot
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 20 févr. 2025

Critique lue 105 fois

6 j'aime

5 commentaires

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 105 fois

6
5

D'autres avis sur The Monkey

The Monkey
22sur20
7

THE MONKEY : 14/20

Oublie la nouvelle de Stephen King qui t’aurait empêché de te lever la nuit pour aller pisser, Osgood Perkins, le réalisateur, a voulu proposer quelque chose de complètement décalé et volontairement...

le 18 févr. 2025

10 j'aime

1

The Monkey
Behind_the_Mask
6

Ce magicien d'Oz ?

Après le succès de son Longlegs, l'annonce d'un film d'Oz Perkins a au moins la capacité de rendre curieux, voir impatient. Tandis que l'objet de la possession, un singe en peluche jouant du tambour,...

le 25 févr. 2025

9 j'aime

The Monkey
LIAMUNIX
1

Singement mauvais

Il est difficile de concevoir qu'une œuvre de Stephen King puisse être à ce point dénaturée. Avec The Monkey, Osgood Perkins propose une adaptation déroutante, non par son originalité, mais par son...

le 20 févr. 2025

8 j'aime

3

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

205 j'aime

152

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

192 j'aime

25

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

192 j'aime

118