Le film de serial killer, ou tueur en série en français, est un genre un peu à part dans l'histoire du cinéma. En effet, ce type de film peut appartenir au film policier, au thriller, au film d’enquête, ou au film d'horreur. Quelque soit le genre auquel il appartient, on y suit dans tous les cas un individu commettre des crimes et selon les longs métrages, la construction variera plus ou moins.
Le premier film à marquer de son empreinte le genre est sans nulle doute M le maudit (1931) de Fritz Lang. Dans ce long métrage, le récit se concentre d'abord sur les enfants dont certains vont être les victimes du tueur et les parents cherchant à tout prix le responsable de ces actes. Ce n'est qu'après que le film va entièrement se focaliser sur ce personnage de M, inspiré d'un véritable tueur d'enfant. En 1931 déjà, Fritz Lang va mettre au point une notion que beaucoup de cinéastes reprendront par la suite, il s'agit du tueur devenant peu à peu la victime, le monstre en lui va au fur et à mesure se transformer en bête apeurée et le tueur se retrouve traqué par les parents des victimes et des criminels de la pire espèce. Au cours du faux procès qui s'ensuit, on aurait presque de la pitié pour ce tueur devenu méconnaissable et pitoyable.
C'est bien en Allemagne que le film de serial killer fait ses gammes avant de migrer en Angleterre et aux États-Unis. Les films les plus célèbres viennent essentiellement de ces deux pays et à partir des années 60, plusieurs classiques voient le jour, on pense forcément à Psychose (1960) réalisé par Alfred Hitchcock, également aux films de Richard Fleisher contribuant plusieurs fois à ce genre avec L'étrangleur de Boston (1968) et L'étrangleur de la place Rillington (1971).
Faire un listing de tous les classiques de ce genre serait bien trop long, toutefois, on peut ajouter qu'à partir des années 90 il commence à évoluer. Les films de cette période sont de plus en plus des thrillers et mettent en scène des personnages de psychopathes que rien ne semble arrêter. C'est le cas dans Le silence des agneaux( 1991) de Jonathan Demme et Seven (1995) de David Fincher.
Dès le début des années 2000, le film de serial killer ne semble ne plus avoir de frontières et le cinéma américain n'est plus le seul à l'utiliser. Et c'est la Corée du Sud, profitant de son renouveau en terme de cinéma, qui s'en empare. Plusieurs cinéastes livrent alors à leur manière leur propre relecture du genre. Bong Joon-ho réalise Memories of Murder (2003) et ne montre jamais le tueur, préférant se concentrer sur l’enquête et les policiers qui en sont en charge. Les deux films suivants, par contre, sont des films de serial killer à l'ancienne ou l'on voit le tueur accomplir ses actes. Na Hong-jin réalise The chaser (2008) et Kim Jee-woon signe J'ai rencontré le diable (2010).
Lorsque l'on visionne pour la première fois The Mumbai Murders c'est bien à ces deux longs métrages que l'on pense le plus.
Réalisé par Anurag Kashyap, The Mumbai Murders est un thriller psychologique indien et sorti en 2016 là bas. L'action se passe à Mumbai en 2015 et raconte le parcours d'un déséquilibré se prenant pour le successeur de Raman Raghav un tueur en série indien des années 60. Sur sa route, il croise Raghavan, un jeune commissaire brillant mais qui passe la plupart de ses journées à se droguer.
Voici le postulat de départ de ce long métrage paraissant en somme toute classique : un serial killer est traqué par un flic dans les rues de Mumbai. Profitant justement de cette trame dite classique, Anurag Kashyap décide d'installer une relation ambiguë entre les deux hommes, ce qui ressemble à de la haine va très vite se transformer en attirance mutuelle.
Dès la première scène du film, on se rend bien compte que l'on est en face de quelque chose de complètement différent. Au lieu de montrer le tueur en train d'accomplir un meurtre, le réalisateur nous présente, dans une discothèque en plan resserré, une jeune femme enflammant la piste de danse, elle est scrutée par un homme dont l'identité va se révéler être celle de Raghavan. Le film se joue dès ce plan, le personnage du flic observe avec grand intérêt cette jeune femme comme si elle était à lui, le chasseur a dans le viseur sa proie. Jouant avec les apparences, le film n'aura de cesse de déstabiliser son spectateur durant la majorité de son récit.
Le générique survenant par la suite nous conforte plus que jamais dans l'idée que le personnage du flic et du tueur sont étroitement liés. Sur fond de musique électronique , (thème déjà présent dans la scène d'introduction et revenant souvent durant le film, notamment durant les scènes de meurtres) les visages de Raghavan et de Raman le tueur, se superposent à maintes reprises par le biais d'images psychédéliques. Ils sont tous les deux attirés l'un par l'autre et le générique nous prévient que la figure du mal n'est pas toujours incarné seulement par un serial killer.
Brillant dans son questionnement du bien et du mal, le long métrage remet en question nos à priori, ainsi le premier personnage que l'on voit clairement commettre un crime est Raghavan et non Raman. En effet, le flic, en essayant de coincer le tueur, se fait surprendre par un homme sans doute un dealer travaillant dans le coin et n'hésite pas à le tuer à coup de batte, la même qui a servi à Raman pour se débarrasser de sa victime précédente. En nous montrant le meurtre commis par Raghavan et non celui de Raman, le réalisateur nous signifie qu'il ne faut pas croire aux apparences, un flic n'est pas forcément moins dangereux qu'un psychopathe. Durant la scène de meurtre, Raman est présent et assiste à l'entièreté de la scène, de même que le spectateur, il est le seul à savoir la vérité. Le film va aussi jouer constamment avec le voyeurisme du spectateur d'autant plus par la suite ou il sera le premier à être témoin des meurtres de Raman.
Si Raghavan le flic est présenté immédiatement comme quelqu'un de menaçant, Raman, lui, après la scène du meurtre se retrouve enfermé dans une pièce exiguë et il est difficile de penser que cet homme puisse être dangereux au vu de son état. Pourtant, une fois à l'air libre on comprend peu à peu que l'on a été berné comme ceux qui l'ont fait sortir de sa cellule, peut être qu'il a bien été roué de coup ( on n'a pas encore vu cette scène) cependant cet homme n'est absolument pas une victime.
On va alors le suivre jusqu' à l’accomplissement d'un meurtre et pas n'importe lequel, puisque c'est sa propre sœur qu'il va exécuter. Un meurtre qui surprend le spectateur, en effet celui ci est amené par plusieurs étapes. Raman rend visite à sa sœur et devient de plus en plus violent avec elle et son mari qui vient d'arriver. Il n'hésite pas à les tuer ainsi que son propre neveu. A ce moment là, difficile de ne pas voir en ce personnage autre chose qu'un monstre.
Justement, Raman est bien plus développé psychologiquement, on apprend qu'il consigne chacun de ses meurtres dans un carnet et inscrit pour chacun le motif du meurtre, se permettant même d'user d'humour très noir pour le meurtre de l'enfant notamment « Je vais t'appeler le temps. Quand on me demandera pourquoi je t'ai tué je dirais pour tuer le temps ! ». Le spectateur est dans la confidence et est obligé de subir ces actes en étant dans l'incapacité d'agir contrairement à la police.
On apprend d'ailleurs que cette dernière a eu l'occasion d'attraper le tueur. Dans une scène se passant avant ces événements, Raman se rend de son propre chef à la police et explique ses meurtres et leur montre le carnet. Raghavan le commissaire est présent et personne ne croit aux propos de cet homme sorti de nulle part qui sonnent bien trop gros. Il y a vraiment une sorte d'ironie grincante qui commence à s'installer. La police qui pouvait l’arrêter ne l'a pas fait car elle était persuadé que l'homme racontait des élucubrations, alors que nous, spectateurs, savons qu'il disait la vérité ne pouvons rien faire à part subir les événements.
Le plus gros point fort du film réside sans aucun doute dans la relation entre les deux personnages.
Raman le tueur et Raghavan le flic, deux personnages qui paraissent différents et qui pourtant se ressemblent par bien des aspects. Raman admire cet homme et aimerait travailler avec lui, de la même manière Raghavan, bien que rebuté par ces meurtres, finit lui aussi par éprouver de l'admiration pour cet homme pas comme les autres. Cette relation ambiguë n'est pas sans rappeler celle des deux personnages principaux du film sud coréen J'ai rencontré le diable (2010). Au cours du long métrage, le personnage principal est prêt à tout afin d'attraper le tueur psychopathe responsable du meurtre de sa petite amie quitte à devenir comme lui.
Il serait bon de noter que Raghavan le flic est la contraction de Raghav, le nom du fameux tueur des annés 60 dont s'inspire Raman et de an. On pourrait ainsi le voir comme une réincarnation, essayant de lutter contre son destin mais finissant par être rattrapé par le cours des choses et donc sa nature qui serait celle d'un tueur.
Globalement The Mumbai Murders est un thriller psychologique très réussi de par son parcours labyrinthique qui nous met en face de nos propres démons et qui peut faire surgir le serial killer en nous à tout moment. La relation extrêmement travaillée entre les deux personnages fascine autant qu'elle fait froid dans le dos ce qui en soit prouve à quel point le film est abouti.