Voilà un film Hindi loin du Bollywood et de ses studios. Anurag Kashyap s'inspire d'un fait divers en le transposant de nos jours par le personnage d'un SDF, s'identifiant au tueur en série Raghav qui a sévit en Inde dans les années 60. Un homme au comportement tout autant désinvolte, qu'au discours absurde, interprété par l'excellent mais non moins inquiétant Nawazuddin Siddiqui. L'occasion pour le cinéaste de traiter de la grande question du mal et de ses représentations.
Exercice d 'autant plus pertinent qu'il trouvera écho facilement ailleurs et qu'il met en avant une peinture sociale dramatique. La haine et la violence faite aux femmes, l'inceste et la maltraitance ou encore la liberté d'expression par le portrait des conventions sociales et familiales et en filigrane l'homosexualité, condamné violemment en Inde. En croisant les actes criminels du tueur, clairement identifié comme nuisible à la société, il interroge sur la légitimité de la violence par le personnage du commissaire, (Vicky Kaushal), tout autant imprévisible, frustré et franchement borderline. Ce n'est pas tant la traque qui intéresse le metteur en scène que cette notion de fascination morbide et de moralité subjective.
A l'instar du film Egyptien, Le Caire Confidentiel, le film trouve son rythme et son originalité.avec une ambiance qui ne laisse aucune place à l'espoir pour retranscrire le malaise d'une société gangrenée par la corruption. en se réappropriant les codes du genre avec réussite. Un portrait des bidonvilles pour quelques clin d'œil au documentaire, passant de la population grouillante et miséreuse et de ses travailleurs de l'ombre, aux boites de nuit pour jeunes branchés, la ligne est d'autant plus marquée qu'elle finira par se fissurer bien facilement par cette même désespérance qui uni les deux personnages. Des cadrages refermant constamment le champ de vision, aux scènes choc suggérées hors champ, le cinéaste opte plutôt pour une violence psychologique et physique ordinaire. Un choix musical endiablé et choisi, dont un texte chanté particulièrement dérangeant sur la description du tueur, qui vient contrebalancer ce que l'on a l'habitude d'entendre dans le cinéma indien. Une mise en scène découpée en chapitre, à la chronologie déconstruite joue du suspense, une ambiance faussement tranquille, entre déambulation mentale et chasse à l'homme, où l'ingénuité du tueur et quelques touches d'humour par ses dialogues en décalage, ne nous trompera pas. Les plans multiples sur son regard suffisent à eux seuls à montrer la distance de cet homme à son environnement et en souligne toute sa dangerosité. La solitude d'un homme parlant à un mur, s'inventant des souvenirs, ou encore la quête de victimes dans une sorte de désœuvrement, la recherche de son arme fétiche et plus encore le besoin d'un alter ego pour tromper son extrême solitude.
La volonté de faire de ces deux personnages un miroir de la noirceur de l'âme, trouve son bémol à partir du derniers tiers, où certaines scènes en deviendront gratuites et poussives en nous dictant trop clairement le final à venir, mais répond au cheminement jusqu'au-boutiste de Anurag Kashyap.