The Murderer par TheScreenAddict
Alors qu'Hollywood tourne en rond, souffrant d'un grave syndrome de redite, le cinéma coréen fait preuve d'une rage créative absolument enthousiasmante. Il y a quelques semaines, Kim Jee-woon nous tétanisait sur nos sièges avec son inoubliable et barbare J'ai rencontré le Diable. C'est au tour de Hong-jin Na, auteur de The Chaser, de s'imposer à travers un véritable coup de maître, une nouvelle référence dans le genre du thriller.
The Murderer nous relate le périple de Gu-nam, un homme dans le besoin, acceptant pour sa survie de commettre un meurtre. Mais lorsque la situation dégénère, quelqu'un commettant la tuerie à sa place, il découvre qu'il est l'objet d'une machination infernale, traqué à la fois par les autorités et les commanditaires du meurtre. A la manière d'un conte cruel, découpé en quatre chapitres distincts, le film met en scène la lutte d'un être radicalement solitaire, sans attaches, pour sa survie. Sa position dans le cadre, toujours précaire, toujours menacée, le plonge dans un tourbillon terrifiant de dangers et de mort. Rivée à Gu-nam, la caméra fébrile de Hong-jin Na se fait le complice, le témoin privilégié de sa traque. The Murderer se construit comme une longue et éprouvante course-poursuite que l'on devine perdue d'avance (comment un seul homme pourrait-il échapper à une armée de limiers lancée à ses trousses ?), mais toujours portée par une tension palpable, viscérale, renforcée par la peinture cauchemardesque d'une Corée tentaculaire et chaotique, d'où la mort peut surgir n'importe quand, n'importe où. Du centre-ville bondé de Séoul aux paysages mornes d'une campagne désertée, The Murderer aligne des morceaux de bravoure fracassants à travers une longue série de traques démentielles, aussi bien sur le plan audio-visuel (prises de vue furieuses, bande-son traumatisante de réalisme) que sensationnel. Presque dépourvu de dialogues, toujours porté sur l'action et sa représentation la plus pure, le film de Hong-jin Na dégage une puissance d'évocation que l'on n'est pas prêt d'oublier. Expérience cinématographique radicale, physique, le périple éprouvant de Gu-nam bouleverse et martyrise nos sens avec une force qu'on aimerait retrouver plus souvent dans nos salles obscures.
Mais au-delà de l'âpreté, au-delà de l'ultra-violence dont le film fait souvent preuve, au-delà de l'ouragan de cris et de sang qui nous emporte, c'est une compassion discrète, diffuse, touchante, qui finit par nous gagner. On s'attache paradoxalement au personnage de Gu-nam à travers sa solitude, la perte progressive de ses repères et objets d'attachement. Ainsi le scénario vient-il mêler à son contrat sordide la recherche affligée de son épouse perdue. Rejoignant le monstrueux héros de J'ai rencontré le Diable dans l'expérience douloureuse de la perte, Gu-nam incarne un fragment ténu d'humanité, jeté dans un torrent de haine, luttant moins pour rester en vie que pour rester humain. Mourir en homme plutôt que vivre comme un chien. Telle pourrait être la morale amère de ce conte à la noirceur troublante. Une nouvelle pépite du cinéma coréen qui vient prouver une fois encore qu'un thriller, ou plus généralement un film, n'est rien s'il ne présente pas un visage humain. Le suspense, les poursuites, les armes et autres explosions, c'est efficace bien sûr, mais la sauce ne prendrait pas sans le ciment puissant d'un vrai drame, au sens premier du terme. Hollywood ferait bien d'en prendre de la graine !