C’est très énervant à la fin cette manie de donner un titre en anglais pour la distribution française d’un film, surtout quand il n’a rien à voir ni avec le titre original, ni avec le titre anglais. Et c’est d’autant plus énervant là qu’on voit bien la manœuvre commerciale derrière cette idée stupide de rebaptiser « The Yellow Sea » en « The Murderer ». Il fallait absolument que ceux qu’on prend pour des abrutis incapables de retenir des noms de réalisateurs ou d’acteurs coréens, c’est-à-dire les spectateurs français, comprennent bien que c’était la même équipe que le bijou fort acclamé « The Chaser ». Et avec un peu de chance, si on laissait entendre que « The Yellow Sea » en était une sorte de suite, c’était encore mieux pour vendre le film, quitte à
manquer infiniment de respect aux créateurs et à leur œuvre.
Manœuvre commerciale donc, et mensongère en plus, car en aucun cas il ne peut s’agir d’une suite ou d’un « produit dérivé » de la première œuvre du réalisateur, tant tout les oppose. Certes on y retrouve les mêmes acteurs, mais dans des rôles complètement différents ; certes on y retrouve sa patte stylistique, son goût de la mise en scène crue, âcre, et brutale, mais ça s’arrête là. Si l’on s’attend à la même mécanique implacable que dans The Chaser, à un thriller bien huilé et au scénario concis, on ne peut qu’être déçu par The Yellow Sea, dont le genre comme les thèmes principaux sont tout autres.
En effet, l’aspect « thriller » est sans doute ce qui est le moins réussi dans ce film au dénouement un peu confus et où le fin mot de l’intrigue est plus suggéré qu’expliqué, ce qui pourra en déstabiliser plus d’un. Mais qu’importe ? ce n’est pas l’histoire ici qui compte mais plutôt l’Histoire et ses vicissitudes, et ses victimes silencieuses, prisonnières de l’abîme et du néant dans lequel elles se débattent, pour irrémédiablement finir par s’y noyer.
Ainsi Gu-Nam, coréen vivant misérablement dans une province chinoise, doit, dans des conditions aussi malsaines que dangereuses (qui sont celles que connaissent presque tous les migrants illégaux), traverser la mer Jaune pour rejoindre pour quelques jours la Corée du Sud, dans l’espoir de gagner de quoi rembourser ses dettes et de retrouver son amour perdu, avant de rentrer en Chine. Mais rien ne se passera comme prévu parce que la vie c’est pas un conte de fée, parce que l’égalité, la liberté et la fraternité ça n’existe que dans les blablas démagos, et parce que l’homme c’est un chien pour l’homme. Mais parce que tant qu’y a de l’espoir y a de la survie, alors s’en suit une course frénétique contre la mort, un survival nerveux et douloureux où un homme seul et sans patrie hurle à la face du monde son droit à exister.
C’est donc un film aussi poignant que tragique, aussi insoutenable qu’édifiant, et qui a le grand mérite de révéler magistralement l’absurde condition humaine, en servant de porte-voix à ces apatrides sans refuge, à cette infinité d’ombres muettes qui passent sur ce monde cruel dans la douleur, la misère et la solitude.
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