Poison Girl
Bon allez, pas d’introduction bien tournée pour cette fois, pour éviter toute confusion et parce qu’on colle des procès d’intention au film pas tout à fait pertinents, je vais commencer par quelques...
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le 8 juin 2016
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Que l’on secoue les anciens adeptes de Drive, Nicolas Winding Refn revient ! Ou plutôt non, qu’on ne leur fasse pas de fausses promesses : l’homme a changé. On imaginerait mal deux ambiances si radicalement différentes que celles de son premier grand succès et de son tout dernier bébé. Le lyrisme éthéré, le jeu en sous-régime, le romantisme léger côtoyant la violence la plus foudroyante, avait hissés le danois au rang d’idole. Il n’est pas exclu que l’âpreté de The Neon Demon provoque la plus grande confusion parmi ses défenseurs.
Il faudra d’abord s’incliner contre la maitrise formelle de Winding Refn, qui coule pour son sujet une succession de tableaux splendides. Les couleurs fluorescentes rebondissent sur les visages lisses de ses actrices dans un déluge de paillettes : dès le premier plan, Elle Fanning s’abandonne, gorge maquillée de rouge, sur un sofa mitraillé par les flashs de son petit ami photographe. Cadrages millimétrés et mouvements d’appareil indolents donnent le tempo d’un film lent, choc visuel de chaque plan. Une techno souvent emballante monopolise la bande son, accompagnant les déambulations d’une jeune fille parfaite dans les studios glacés et dans les motels d’un Los Angeles miteux. Un danger rôde, nécessairement, dans ce faux rythme : l’hôtelier Keanu Reeves a beau être antipathique, c’est dans sa propre chambre que Jesse trouve un léopard. Comme une annonce de la progression du film.
En effet, The Neon Demon n’est pas tant un film d’horreur qu’une représentation horrifique, décadente, de l’éveil du désir. Pureté même, sans famille, ni passé, ni attache en dehors d’un petit ami bien vite quitté (quand on n’a pas le bon goût de placer la beauté au-dessus du reste, il ne vous reste qu’à quitter le monde de la mode), Jesse est une icône qui s’ignore, au départ tout du moins, et que les égards des objectifs habillent soudainement de lumière. Dans une scène de défilé absolument délirante, Refn filme le ballet, seule et dans le noir, de cette jeune fille qui se découvre : la découverte n’est pas celle du monde mais de soi. Un énigmatique symbole triangulaire lui fait face, bleu, puis rouge. C’est cette couleur qui dominait déjà l’ensemble : mais il semblerait qu’elle habite aussi désormais le corps de Jesse, soudain sûre d’elle et de son pouvoir d’attraction. The Neon Demon est un récit de prise de pouvoir, d’une jeune fille dont la désirabilité écrase tout autour d’elle ; face à cette force déchainée, des beautés fatiguées se défont lentement, se consomment, tentent de se refaire à l’aide des bistouris.
Mais si leurs corps, leurs visages se maintiennent parfaits, il y manque l’innocence dévastatrice du désir pas encore consommé. Jesse, si confiante, ne se livre pourtant pas à une sexualité en actes, et se montre incertaine de ce qu’elle renvoie aux autres. Son « amie » maquilleuse croit déceler une forme de désir réciproque : elle se trompe. Jesse veut être désirée en refusant de voir ce que cela implique, et c’est en se refusant qu’elle est irrésistible. Il pourra être intéressant de voir dans cette beauté nouvelle, immaculée, une projection grinçante du cinéaste de sa propre façon de faire du cinéma : Jesse est belle, idéalement belle, et pourtant cynique et creuse, comme si Refn voyait en elle à la fois un idéal artistique et une critique de sa propre mise en scène, très pimpante sans toujours satisfaire intellectuellement.
Après une heure et demie de latence voluptueuse (où, soyons clair, il ne se passe rien ou presque en apparence), Refn fait virer son film dans un gore assumé. Ayant tiré les cordes de l’attraction jusqu’à leur paroxysme, il fallait bien qu’elles relâchent : et, dans un festival de violence d’un mauvais goût jouissif (deux suicides violents, un œil avalé puis vomi, puis gobé de nouveau), on assiste à une tentative désespérée de vampirisation. The Neon Demon prend finalement la forme d’une farce atroce sur l’intrication du désir et de la mort, de l’Eros et du Thanatos. Le thème est aussi peu original que sa mise en images est envoutante et sublime parfois, dans la combinaison glaciale entre le grotesque et la beauté.
Il est donc écrit que The Neon Demon clivera, comme il l’a déjà fait à Cannes : les sifflets du Grand Théâtre laisseront la place à une foule de critiques assassines. La radicalité de la démarche visuelle de Refn, sa volonté d’assumer le côté kitsch et toc de son film pourront choquer, à fort juste titre. Son film n’a pas eu de récompenses, et il était prévisible qu’il n’en ait pas. Il n’en reste pas moins que The Neon Demon est une des tentatives de cinéma les plus audacieuses du Festival, et donc une de ses œuvres les plus fascinantes.
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Créée
le 28 mai 2016
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