Poison Girl
Bon allez, pas d’introduction bien tournée pour cette fois, pour éviter toute confusion et parce qu’on colle des procès d’intention au film pas tout à fait pertinents, je vais commencer par quelques...
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le 8 juin 2016
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[Blabla sur la note qui ne veut rien dire et tout. Et j'en profite aussi pour dire que cette critique contient du spoil, au cas où.]
Il m'aura fallu près de trois mois pour me décider à faire cette critique. Trois mois pour « digérer » ce film en somme, pour reprendre une blague que beaucoup ont dû faire en sortant de la salle.
Je ne connais que peu Refn, Neon Demon étant seulement le deuxième film que je vois de ce dernier. Le premier étant Drive.
En lisant un peu sur lui, je comprends que c'est plus un perfectionniste de l'esthétique, un petit génie de l'image et du son que d'un amoureux des textes et dialogues, d'histoires complexes ou scénarios alambiqués. Ce que j'ai pu constaté de Drive, que j'avais moyennement aimé, et qui ne m'a pas laissé un souvenir fou. J'avais certes été un peu sensible à ce mélange de musique et d'images Refnienne, mais le sujet, les « non-dits » derrière ces images ne m'avaient pas parlé. Au contraire de The Neon Demon.
Avant tout chose, je pense que l'expérience de ce film commence par sa bande annonce (https://www.youtube.com/watch?v=9onWt_gL6RA ), que j'ai eu la chance de découvrir au Cinéma. Sûrement la bande annonce qui m'a le plus scotché jusqu'à présent. Jamais une bande annonce seule ne m'avait autant donné envie de voir un film.
D'ailleurs, c'est également très intéressant de regarder de nouveau cette bande annonce après coup, je vous le conseille !
Dans The Neon Demon, Refn choisit d'aborder la sacro-sainte « Beauté » du monde de la mode. L'univers de la mode n'est pas vraiment le sujet profond, il sert avant tout de contexte, pour mettre en scène désir, horreur, dégoût, envie, haine, fantasme, jalousie et toutes ces sensations souvent malsaines que suscite cette « Beauté », cet enfer de l'image, du physique réduit à l'enveloppe corporel.
Comme dit plus haut, The Neon Demon est un film d'images et de musiques et non à texte, un film sensoriel. Plus qu'une histoire bien ficelée, il faut davantage le voir comme une suite de scènes symboliques, jouant habilement avec nos peurs, nos dégoûts et nos fantasmes. De ce fait, je vais essayer de reprendre les scènes les plus marquantes, celles qui m'ont le plus parlé.
Jesse est une jeune fille d'une beauté mystique en partie due à sa pureté et son innocence. Jesse est convoitée. De ce fait, Refn va beaucoup jouer sur le regard des autres : tantôt rêveur, tantôt envieux, tantôt lubrique. Jesse ne laisse insensible personne, ces regards traduisent des envies et pensées à la fois morbides et bienveillantes. L'œuvre joue sur ce paradoxe de vouloir à la fois conserver et défendre cet objet de désir à son état pur, tel le fruit défendu de la « Beauté », et de vouloir se l'approprier, prendre cette virginité, puis le massacrer.
Le film s'ouvre d'ailleurs sur Jesse ensanglantée, faisant la morte pour son ami photographe. Le regard de ce dernier semble sévère : y a-t-il là juste le regard sérieux de quelqu'un concentré sur sa tâche, ou un regard lascif, chargé d'envies, sur ce qui pourrait être fait à cet objet de désir, inerte mais pourtant bien vivant.
Dean est un personnage intéressant. Il semble être le seul à être réellement bienveillant envers Jesse : il veut son bien, prend soin d'elle, et assiste peu à peu à la transformation de cette dernière, à sa perversion. Mais Roberto lui pose une question très intéressante : aurait-il remarqué Jesse si elle n'avait pas été d'une « Beauté » aussi pure ? Dean n'était-il finalement lui aussi qu'un convoiteur parmi tant d'autres, rêvant de goûter au fruit défendu, tout comme Ruby ?
La scène avec le photographe est une des plus angoissantes, alors même qu'il ne s'y passe au final pas grand-chose. La pure et innocente Jesse débarque dans un environnement très lumineux, d'un blanc angélique. Elle fait l'effet d'un petit chaperon blanc, s'avançant avec insouciance dans l'antre du grand méchant photographe. Jack est froid, et semble n'avoir absolument aucune compassion pour ces « objets de travail ». Mais il sait reconnaître quel matériel sublimera ses photos. Et il voit Jesse comme un matériel unique, divin. Il expulse les autres, et se retrouver donc seul avec la vierge convoitée. Le passage d'un univers tout blanc au noir le plus complet est une idée de génie : tout en restant cohérent avec l'environnement d'un studio photo, on passe du petit paradis d'insouciance de Jesse, à un monde froid et démoniaque, où la jeune nymphe se retrouve seule, apeurée.
Tout au long de cette scène, on ressent la tension de Jesse, et cette question fait échos dans nos têtes : va-t-il abuser d'elle ? Va-t-il succomber à la tentation ? Le regard de Jack ne changera pas : toujours ce froid morbide. En revanche, celui de Jesse passera de la peur, de l'affolement à l'idée de se retrouver seule avec Jack, à une certaine fierté, presque malsaine.
La pure Jesse commencerait-elle à se laisser pervertir par ce monde ? La tension ressentie lors de cette scène était délicieuse.
J'évoque au dessus le jeu de Refn entre désir et dégoût, deux sensations humaines difficilement contrôlables puisque très attachées à nos pulsions. La fameuse scène de la morgue est un parfait exemple de ce jeu, et reste sûrement l'une des scènes les plus géniales pour moi.
Avant tout chose, j'ai trouvé ça assez comique d'entendre parfois parler de cette scène comme « l'une des plus choquantes du film ». Alors que c'est une scène où il n'y a aucune atteinte à l'intégrité physique et psychologique d'un être vivant. Personne n'est humilié, personne ne souffre, personne ne se fait blesser ou manger. Si l'on compare à la scène évoquée ci-dessus ou ci-dessous, cette scène n'a rien d' « horrible ».
Le génie de cette scène est d'arriver à jouer sur les deux mécanismes d'excitation et de dégoût inhérents aux être humain, ce qui crée une certaine ambivalence dans notre perception de ce moment. On est confronté à la pulsion sexuelle de Ruby, amoureuse de la beauté des corps telle que glorifiée dans le monde de la mode (après tout, un corps inerte servant juste pour l'image est-il si différent d'un corps mort?), et frustrée car elle ne parvient pas à assouvir son fantasme pour Jesse. Ruby déchaîne donc toute sa lubricité sur son objet de travail, et au fil d'images qui s'entremêlent, entre scène nécrophile et la douce Jesse qui prend des poses suggestives, le spectateur est transporté dans un imbroglio de sensations, mélange de dégoût profond de l'acte de Ruby , et excitation devant le désir incontrôlable de cette dernière et les images de son fantasme, jusqu'à l'éclatement, l'orgasme puissant mais honteux de la maquilleuse lubrique.
Cette scène est à elle seule un déferlement de sensations (envie, frustration, exécration, désir, haine, angoisse ) mais aussi d'images symboliques représentatives de cette « Beauté » malsaine : glorification de la chaire au profit de l'âme et déshumanisation du corps. Tout ce qui importe dans ce monde horrifique, c'est la beauté du corps : qu'importe ci celui-ci est vivant ou mort ? Après tout, Ruby ne fait-elle pas que réaliser plus concrètement un possible fantasme inavoué de Dean, ce dernier nous offrant le fameux cliché d'ouverture de Jesse morte ?
On ressort de cette scène presque essoufflé, ému par toutes ces sensations contradictoires avec lesquelles Refn joue.
Je terminerai cette critique sur un petit mot de la scène finale, où cette glorification du corps inerte, mort, est réalisée concrètement, puisque après la simple photo et l'acte nécrophile, Jesse sera bel et bien tuée... Puis mangée.
Je dois avoué que, même si la mort est très présente dans le film, je n'avais pas imaginé qu'elle se ferait dévorer, bien qu'il y ait aussi au moins un indice là dessus lorsque Sarah la mord dans les toilettes.
Sorti de la précédente scène émoustillé, je me demandais bien ce que Ruby réservait à Jesse, mais je dois avoué que ce « festin » m'a dérouté sur le moment. Manger Jesse et se baigner dans son sang pour en acquérir la beauté, original, soit. Si cela peut sembler « cohérent » de la part de Sarah et Gigi, c'est plus surprenant de la part de Ruby, qui ne voulait pas tant s'approprier cette beauté qu'en prendre la virginité. Sûrement aurait-elle préférée garder le corps intact, ou bien était-ce un moyen de massacrer ce désir inatteignable ?
Je dois avouer que cela été une sorte de « trop plein » pour moi. Plus d'ambiguïté de sensations, c'est vraiment purement du dégoût que l'on ressent (en tout cas pour ma part) dans cette scène. Je suppose que c'est bien ce que désirait Refn, finir sur une note difficile à digérer, un dénouement délicat à avaler, qui laisser un arrière goût peu agréable... (ok j'arrête). Finalement, Ruby, Sarah et Gigi se déshumanisent complètement, deviennent des démons qui en dévorent un autre. Car oui, même si ce monde de la mode, de la beauté à tout prix, avait consommé un peu de leur « âme », elles n'en restaient pas moins humaine par leurs angoisses, leurs envies. La scène finale est le moment où tout bascule, où l'attachement que l'on avait pour elles - en particulier pour Ruby, du fait de mon affection pour les personnages lubriques - se mue en parfait rejet, en dégoût.
The Neon Demon est une expérience sensorielle forte, qui joue très habilement avec nos émotions grâce à la maîtrise de l'image et de la musique de Refn. Mais le dénouement m'a empêché de sortir de film complètement ravi, complètement excité à l'idée d'avoir vu un film génial. Car cette fin, oblige à prendre son temps, à revenir sur ce que l'on vient de voir, à prendre un certain recul. Oui, à « digérer » ce que l'on vient de voir, finalement c'est vraiment le mot adéquat.
Et ce n'est que des mois plus tard, en me remémorant une à une les différentes scènes, après avoir revu plusieurs fois la bande annonce, réécouté « The Neon Dance », que je me suis dit que je l'avais enfin digéré, que j'étais enfin prêt à en écrire une critique, et que finalement, oui, j'avais bel et bien adoré cette « expérience sensorielle ».
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Créée
le 1 oct. 2016
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