Nicolas Winding Refn n’en finit plus de diviser le monde de la critique. The Neon Demon a encore une fois été très mal accueilli lors de sa projection au festival de Cannes comme l’avait été Only God Forgive pour son parti pris esthétique, quasi mutique et auteurisant qui énerve autant qu’il fascine les spectateurs. La réception fût bien meilleure à l’avant-première mondiale organisé par le cinéma UGC les Halles à Paris où le réalisateur en compagnie de son actrice en superbe robe de soirée rouge écarlate ; très chouette souvenir d’ailleurs ; y présenta son film avant de recevoir une véritable standing innovation à l’issue de la projection. Pour autant, il reste difficile de réconcilier les deux camps, certains parlent de génie et d’autres de branlettes intellectuelles ce à quoi il convient d’apporter une nuance grâce à cette extrême sophistication maladive et obsessionnelle qui tend vers l’abstraction. Sa mise en scène classieuse voir même un brin pompeuse est ici la parfaite traduction de son message par le soin justement accordé à l’image même s’il lui arrive de succomber au narcissisme qu’il entend dénoncer. Il faut dire aussi que Refn a toujours admis s’intéressait aux extrêmes, d’où le choix d’alterner entre culte du raffinement et mauvais goût, fable contemplative et faux semblant, plan fixe et travelling donnant cette étrange sensation d’immobilisme et de glissement.


L’introduction sublimée par la composition de Cliff Martinez est une première incursion prophétique du monde impitoyable qu’il dépeint où le mascara, les strass et les paillettes ne sauraient camouflés la violence tapie dans ce milieu élitiste et carnassier. Cette entrée en matière très stylisé reflète d’ailleurs bien l’égo surdimensionné du cinéaste qui en profite pour glisser ses initiales en lettre doré comme celles de Yves Saint Laurent pour le compte duquel il avait d'ailleurs travaillé, conscient que son style est devenu une véritable marque. Le réalisateur a donc fait le choix de reproduire la même esthétique publicitaire durant deux heures afin d’en accentuer l’onirisme morbide avec des couleurs chaudes très contrastés qui dégagent paradoxalement une certaine froideur. Le film traite donc de cette artificialité qui pousse les mannequins à s’entre-dévorer dans cette course à la célébrité où le temps file aussi vite qu’une série de clichés, puisque la beauté est éphémère. Dans cette univers si superficiel, le physique candide de la jeune Elle Fanning et son expression de biche apeurée vont faire d’elle la nouvelle égérie au détriment de ses concurrentes botoxées et contrefaites ce qui va susciter des jalousies et occasionner quelques bisbilles. Le récit va prendre des allures de conte initiatique que l’on pourra légitimement associé à une relecture de l’histoire de la Comtesse Bathory qui se baignait dans le sang des vierges pour garder une jeunesse éternelle.


Dans sa cinéphilie compulsive, Refn semble avoir régurgité tout un tas d’influences qui lui permet de mieux appréhender son environnement où les corps restent figés comme s’il s’agissait de garder la pause dans un travail perpétuel de représentation. Ses artifices de mise en scène ne sauraient néanmoins se limiter à de l’esbroufe tant ils sont devenues une caractéristique essentiel de son cinéma hérité de Stanley Kubrick, notamment grâce à sa gestion du cadre et de l’espace qu’il parcours avec des mouvements ample et millimétré, des travelling et des contre-plongées qu’il envahit de projecteurs de couleur pour mieux sculpter le décor, en apprécier les textures, les courbes et les formes. Cette utilisation parfois abusive de néons évoque le cinéma de Mario Bava, autant que les délires psychédéliques de Georges Clouzot dans La Prisonnière et L’Enfer mais c’est aussi ce qui permet d’épouser la part d’allégorie et d’insuffler une sensation de danger, d’accentuer la tension ou bien de véhiculer des émotions en s’attardant parfois sur les visages et expressions de ses interprètes plus que de raison. Que le cinéaste soit le fils d’un monteur et d’une photographe prouve bien que les chiens ne font pas des chats. Ce fétichisme pour les formes trouve finalement sa quintessence dans la représentation de ce diamant étincelant (sur-exploité dans la campagne promo) auquel Jesse sera comparé et qui fait également écho à cette trinité de sorcières qui gravite autour d’elle. C’est au contact de ce triangle inversé que la personnalité de Jesse va se fragmenter pour passer du statut d’oiseau de proie à celui de prédatrice. Mais plutôt que de chercher à faire un conte moral sur l'ambition dévorante en fustigeant la vanité de son héroïne qui finira par être absorbé puis recraché au sens propre comme au figuré le réalisateur préfèrera s’attarder sur l’anthropomorphisme du milieu où la rançon de gloire se rétribue en créance de sang. Il faut souffrir pour être belle, et surtout le rester.


Tu veux ta dose de frissons et d’adrénaline pour Halloween ? Rends-toi sur l’Écran Barge où tu trouveras des critiques de films réellement horrifiques, situés à mi-chemin entre le fantasme et le cauchemar.

Le-Roy-du-Bis
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Phantasmagoria

Créée

le 11 janv. 2024

Critique lue 25 fois

1 j'aime

Le Roy du Bis

Écrit par

Critique lue 25 fois

1

D'autres avis sur The Neon Demon

The Neon Demon
Antofisherb
5

Poison Girl

Bon allez, pas d’introduction bien tournée pour cette fois, pour éviter toute confusion et parce qu’on colle des procès d’intention au film pas tout à fait pertinents, je vais commencer par quelques...

le 8 juin 2016

196 j'aime

45

The Neon Demon
Gand-Alf
5

Beauty is Everything.

Le temps d'un plan, j'y ai cru, au point d'en avoir une demie molle. Le temps d'un opening theme fracassant, me renvoyant au temps béni de Blade Runner, et dont les basses me parcourent l'échine avec...

le 20 juin 2016

193 j'aime

6

The Neon Demon
Clode
8

La belle au pays de la beauté fantasmée

Il était une fois des néons qui clignotent et qui éclairent de leur lumières vive inhumaine, rouge, violette, bleue et verte, des flashent qui crépitent dans de grandes pièces vides et des beautés de...

le 9 juin 2016

149 j'aime

6

Du même critique

Whiplash
Le-Roy-du-Bis
10

I’m Upset

On ne nait pas en étant le meilleur, on le devient au prix d’un travail acharné et d’une abnégation sans faille. Le talent n’est pas inné, il se développe et se cultive par un entraînement rigoureux...

le 17 juil. 2023

8 j'aime

21

Alien 3 : Édition Spéciale
Le-Roy-du-Bis
7

Le Projet Chaos

Parfois le sort ne cesse de s’acharner, et les majors Hollywoodiennes de produire de nouvelles suites et de nouveaux calvaires à faire endurer à leurs héroïnes comme Ellen Ripley. On lui avait enlevé...

le 14 août 2024

7 j'aime

La colline a des yeux
Le-Roy-du-Bis
8

Les Retombées

À Hollywood, on aime pas trop prendre des risques inutiles et les remake constitue des retombées financières garantie. Massacre à la tronçonneuse, Halloween, Vendredi 13... Evidemment, pour s’assurer...

le 19 oct. 2023

7 j'aime

3