Poison Girl
Bon allez, pas d’introduction bien tournée pour cette fois, pour éviter toute confusion et parce qu’on colle des procès d’intention au film pas tout à fait pertinents, je vais commencer par quelques...
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le 8 juin 2016
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Fait étrange, dès le générique : le dernier métrage de Nicolas Winding Refn partage le même producteur, Vincent Maraval, et le même acteur, Karl Glusman, que Love mais les similitudes s'arrêtent là, forte heureusement. Ici on a à faire avec un film qui traite d'un sujet plus large que le nombrilisme franco-argentin de Love. En effet il explore le monde de la mode en l'utilisant comme une allégorie esthétique des rapports conditionnés à l'extrême de notre société.
Sans cesse pendant cette séance, on se dit que des clichés vont surgir : drogue, histoire d'amour, villa luxueuses, beaux mecs plein de fric, images de défilés de mode à la chaine. Et non. Ou plutôt tout est en arrière plan, sauf la drogue jamais évoquée. Le personnage principal, Jesse, se permettant même d'avoir un ami sympa, qui ne pense pas comme le monde des mannequins, dont elle veut faire partie, que "beauty is the only thing" (la beauté est la seul chose(qui compte)). Le film fait penser à Teeth de Mitchell Lichtenstein dans son aspect final et surtout aurait pu être librement inspiré du scénario de Eve de Joseph Mankiewicz, mélangé avec le portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde. En effet les personnages autour de Jesse ne supportent pas le passage du temps. Toujours à chercher à plaire au diktat des hommes qui font la mode, dépeint comme des robots vidés d'eux-mêmes.
Il s'agit d'un anti-Love donc mais aussi d'un anti-La Vie d'Adèle. Là ou Kechiche insiste tout le film avec la couleur bleu, Winding Refn utilise une palette restreinte mais forte pour imagé son propos, notamment avec le passage du bleu (justement …) au rouge dans la scène où le personnage principal, Jesse, change définitivement. Au lieu de montrer ostensiblement le sexe, pour une raison encore inconnue, pendant de trop longues minutes, il ne fait qu'approcher le sujet, le suggérer. Là ou Kechiche est racoleur et finalement assez vide, Winding Refn feint de l'être est montre ce vide tel qu'il est observable dans les personnages à l'écran.
La qualité formelle de l'image est visiblement travaillée et même un simple plan d'une porte de toilette est cadré d'une manière personnelle et pensé pour s'enchaîner avec le suivant pour soit créer une tension, soit suggérer une portée allégorique. Un genre de Blow Up à la sauce electro-comtemporaine désabusé. On peut personnellement ne pas adhérer mais objectivement le film est cadré et photographié avec une précision d'orfèvre.
Si Refn a fait un film qui parle de drogue avec Pusher, il ne se laisse pas tenter par la facilité de simplement montrer comment ce monde de la mode peut être dépravé, sexualisé et pseudo-talentueux comme, par exemple, le fait le Saint Laurent de Bonnelo, et non pas le fleuve, même s'ils ont en commun la longueur et le peu de profondeur. Le réalisateur de Only God Forgives se sert de son talent pictural pour faire un film presque toujours symbolique et même onirique, renouant ainsi avec son inspiration de Valhalla Rising.
Les images pourraient être vides et simplement très belles. Toutefois chaque plan à son utilité et la plupart du temps transmet une symbolique forte. Il y en a trois particulièrement.
Tout d'abord la métaphore filée du miroir, comme l'eau dans laquelle se reflète Narcisse. L'ego de chacun est omniprésent, presque étouffant. Dans une séquence sublimement mise en scène, on boucle même le cercle. Dans celle-ci l'ego de Sarah est brisé parce que Jesse a été choisie à sa place, elle brise alors le miroir (son ego) qui lui renvoie son reflet. Et ensuite cette même Jesse se blesse sur les morceaux coupants de l'ego (le miroir) de Sarah et là, son désir devenu frustration la pousse à sucer littéralement le sang de celle qu'elle nomme "le soleil en plein hiver". A d'autres moments cette métaphore est rehaussée d'un dessin représentant une sorte d'Œdipe. On pourrait en citer d'autres.
Ce désir justement. Lui aussi il est symbolisé par une autre métaphore filée, celle des grands fauves et du loup. Le puma retrouvé dans la chambre de Jesse nous donne un premier signe alors que son désir tâtonnait juste avant, lorsqu'elle se détournait d'une tentative de baiser de son sympathique photographe qui l'avait amenée au dessus de Los Angeles, près de la nature. Ce désir pris dans le carcan du conditionnement social de ce monde de paillettes, finit par être limité à tel point qu'il se change en frustration meurtrière. En envie de sang, au sens propre et figuré. Car le sang c'est ce qui tient en vie, ce qui se transmet héréditairement, ce qui redonne la jeunesse. Demander plutôt à Mick Jagger.
Comme ce monde est superficielle et sans âme, réduit à l'expression de pulsions prédéfinies, il devient nécrophile. Cette absence d'âme est celle du vampire et donc on revient au sang, comme dans la scène citée plus haut. Ce ne sont alors plus des prédateurs mais des âmes mortes qui veulent à tout prix rester dans leur adolescence rêvée.
De manière générale, il y a aussi la symbolique du triangle, bien mise en évidence sur l'affiche, qui représente à la fois un processus alchimique, qui finit mal, et dans un sens le sexe de la femme, qui dans l'autre sens est celui de l'homme. Encore une image de pouvoir et de pulsion. La frustration omniprésente de ne plus être aussi beau, de ne plus être la belle bête admirée, de n'être qu'un vampire. L'auteur en parle dans cet article. Citons cet phrase qui en est tirée :"Cette césure entre l’homme et la femme – l’homme, selon lui, placé du côté de la force, la femme de celui de la beauté – est le sujet de The Neon Demon."
Ces thématiques se croisent souvent et permettent de montrer que toutes ces choses sont liées. Et comme la présentation des personnages est sommaire, car encore une fois symboliques, il y a peu de scènes uniquement utiles au déroulement de l'histoire, la plupart sont en effet chargées de messages ou au moins d'allégories. Car encore une fois le thème du film concerne et questionne notre société au delà du simple milieu du mannequinnat.
Cerise sur le gâteau, nous avons même droit à un Keanu Reeves dans un rôle à contre-emploi, pas loin d'être un de ses meilleurs.
La musique, comme souvent dans les films de Winding Refn, joue un rôle majeure et participe à la fascination éprouvée, notamment la Demon Dance entendue dans la bande annonce comme dans le film.
Il n'y a que les dernières quinze minutes du film qui sont une forme de redite, qui arrête un peu le charme dérangeant du meilleur film de Refn. En effet ce côté gore final appuie un peu trop la volonté de montrer que le cycle continue, comme l'avait fait Eve en son temps, d'une autre manière. Précisons que le réalisateur, lui, avait pensé à Une Etoile est Née, film dans la même veine donc, avant de réaliser The Neon Demon.
Il s'agit de plus d'un film qui joue avec les codes du film d'épouvante (Massacre à la Tronçonneuse est d'ailleurs un des films préféré du réalisateur) et qui révèle la psychologie limitée et envahie de pulsions destructrices des enfants du jeunisme fasciste contemporain. Il y aussi une filiation avec de Palma dès la première image, qui fait penser notamment à Carrie. Un film qui parle aussi de psychologie conditionnée, de désir et de frustration meurtrière.
On pourrait trouver ces hommes et surtout ces femmes magnifiques mais leur beauté plastique, faussée par la chirurgie, les habits clinquants et le maquillage, dégagent plutôt une impression malsaine comme dans les films de Dario Argento, dont l'esthétique du film s'inspire.
Une œuvre qui remplit ses objectifs, car le réalisateur lui-même voulait que les impressions soient mitigées, qu'il ne soit pas si simple à aborder qu'il le parait (voir aussi dans l'article cité plus haut). Car il faut se rappeler qu'il a enchainé ce film avec une pub Gucci reprenant les mêmes codes ! La question donc, qui vient à l'esprit en sortant de ce film est de savoir si son auteur est si fin qu'il arrive à participer au système qu'il décrit tout en le démantelant, ou bien, s'il est aspiré par celui-ci et que tout cela est une tentative d'expiation pour finalement justifier sa présence.
Quelle que ce soit la réponse, le contenu du film provoque une réflexion ou au moins un malaise. Il touche au delà de la surface de son sujet qui peut paraître superficielle, et justement qui en profite pour aller plus loin, pour chercher le spectateur dans ses certitudes, à la manière d'un Cronenberg dans Chromosome 3. A quel point Winding Refn est-il malin ? Lui seul peut répondre. Dans tous les cas son film est là, plein et dérangeant. Il a été fait dans ce but, pas pour faire l'unanimité. Mission accomplie.
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le 2 juil. 2016
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