Le manoir aux alouettes
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Depuis Martha Marcy May Marlene en 2011, Sean Durkin s’était fait discret. Officiant davantage en qualité de producteur (par exemple sur le magnifique Two gates of sleep), il n’aura mis en scène, en 2013, que les quatre épisodes de la série (très) noire Southcliffe. Surprise donc de le retrouver des années plus tard avec ce nouveau long métrage qui, en septembre dernier, a fait sensation au festival de Deauville où il a remporté trois prix, dont le grand prix du jury. Cette fois Durkin brosse le portrait d’une famille heureuse et prospère aux États-Unis dans les années 80 qui, partie vivre en Angleterre suite au poste de courtier proposé au mari (persuadé, par cette occasion, de faire fortune), va aller de désillusions en désillusions jusqu’à l’implosion de l’équilibre social et familial.
Entre banalité du quotidien et inquiétante étrangeté, les prodromes de la rupture vont peu à peu se manifester, et les vérités du monde, ce monde alors en pleine exaltation d’un capitalisme effréné, s’imposer avec dureté. Durkin fait de la figure du père, trader ivre de réussite, celle par qui tout va se dérégler : menteur, hâbleur et ambitieux, privilégiant le paraître (une belle maison, une belle femme, un bel appartement à acheter…) et soucieux de prendre sa revanche sur une enfance pauvre qu’il a choisi de renier, Rory cristallise les tensions qui, peu à peu, minent le couple (et leurs deux enfants) et en bouleversent les fondations, l’image initiale que l’on aura pu s’en faire (la mère, Allison, se demandant même pourquoi son mari et ses enfant sont devenus des "étrangers" pour elle).
Puis Durkin opère un glissement narratif pour se concentrer sur Allison. Allison qui, par une sorte de prise de conscience, un refus d’accepter encore la duplicité de son mari (la scène du repas d’affaire, grinçante), va tenter de s’extraire du rôle ingrat de la simple épouse que l’on exhibe comme un trophée ("J’ai hâte de te montrer ce soir", lui confiera Rory), de reprendre un semblant de contrôle sur une existence qui s’étiole. Si l’intrigue se traîne un air de déjà-vu et pouvait, sans doute, aller encore plus loin dans le travail de sape (parce qu’au final on aurait tendance à se dire "tout ça pour ça"), Durkin excelle en revanche à la circonscrire à un cadre où le bizarre, qui rôde, vient brouiller nos repères, interroger notre perception des évènements.
Il y a par exemple un cheval qui se meurt doucement (métaphore un rien évidente, dans sa résonance, avec l’altération programmée du couple). Il y a des portes qui s’ouvrent toutes seules et des radios qui s’allument, toutes seules aussi. Il y a surtout un manoir gothique aux allures de maison hantée à la Hammer ou à la Henry James (on pense en particulier au Tour d’écrou) et qui semble directement influer sur le comportement des personnages. Dommage d’ailleurs que cet aspect à la limite du fantastique, voire du film d’horreur, ne soit pas davantage exploité, donnant parfois l’impression, en l’état, d’un usage un peu gadget. Superbement mis en scène (l’emploi du zoom y est impeccable) et interprété (Carrie Coon hérite enfin d’un premier rôle à la mesure de son talent, même si elle brillait déjà dans The leftovers ou Gone girl), The nest offre un regard sans pitié sur la déréliction presque logique, inévitable à force d’illusions et de vanité, du foyer idéal.
Créée
le 8 janv. 2021
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