Le Berger veille sur son troupeau, caché du monde extérieur par l'autarcie que lui procure la forêt irlandaise. Il condense à lui seul toutes les facettes de la domination masculine : il est le messie, le protecteur, le mari, le père de sa communauté exclusivement composée de femmes. Celles-ci sont divisées en catégories par la couleur de leurs vêtements : les filles et les épouses. Parmi les premières, il y a Selah qui n'a jamais connu autre chose que cette micro-société patriarcale recluse, comme toutes ses membres, elle s'est toujours dévouée corps et âme au Berger et à ses commandements. Mais, lorsque les grands yeux bleus de Selah deviennent de plus en plus critiques sur le fonctionnement du groupe, les rouages de futurs bouleversements majeurs se mettent en marche...
Bon, sur le fond de la proposition, pas de quoi sauter au plafond niveau originalité, "The Other Lamb" s'inscrit une fois de plus dans une logique d'émancipation féminine typique de cette mouvance récente du cinéma indépendant se servant de certains codes de l'horreur pour mettre en lumière cette thématique.
Après nous avoir fait découvrir l'environnement de ce "paradis" du patriarcat à travers elle, Selah va évidemment prendre peu à peu conscience des agissements réels de ce Berger au sein de son troupeau. Puis, elle va chercher à se réapproprier sa propre féminité afin de briser le schéma des seules fonctions fille/épouse mises en place par ce dernier en résonnance de ses besoins masculins (et, plus métaphoriquement, d'une vision archaïque de la femme dans la société).
Malgré la spécificité du contexte, le discours qui en émane est désormais bien trop connu pour créer un semblant de surprise. Certes, ça n'empêchera pas "The Other Lamb" d'en tirer quelques très bons moments grâce à la seule force de l'aventure intérieure de ses protagonistes : la montée en puissance de l'affirmation de Selah au sein du groupe (la prometteuse Raffey Cassidy, découverte dans "À la Poursuite de Demain"), la fascination de plus en plus malmenée que le Berger exerce sur son troupeau, ces femmes épouses vieillissantes et laissées sur le bas-côté par leur mentor ou encore l'ouverture d'esprit initiée sur Selah par celle qui va devenir sa guide spirituel/mère de substitution, un personnage fascinant et banni pour avoir osé considérer son statut de femme selon ses propres termes. Mais, dans l'ensemble, le récit sera finalement un peu toujours prisonnier de ses enjeux prévisibles et donnera l'impression d'errer -comme la communauté- à cause de certains passages plus destructurés ou la répétition de ses images les plus fortes.
Cela dit, et ce sera la qualité la plus pregnante de "The Other Lamb", quand il s'agit de trouver les meilleurs choix esthétiques pour mettre en valeur ses atouts, la mise en scène de Małgorzata Szumowska ("Elles") répond toujours présente. Tirant complètement profit de la splendeur offerte par le cadre des paysages irlandais, la réalisatrice compose une série de "toiles" d'une beauté sidérante pour saisir l'étrangeté de cette communauté volontairement en marge du monde. Là encore, la symbolique découlant des aspects les plus attendus du récit prendra parfois des formes plus ou moins redondantes à l'écran (l'avènement de la Femme face au bélier unique du troupeau) mais, souvent, "The Other Lamb" parviendra visuellement à transcender notre avance sur ses intentions de fond par l'aura poétique de son ambiance mortifère et son talent à toujours rendre justice à la puissance magnétique de ses personnages.
Faute d'être un précurseur sur ce qu'il a raconté et les outils à sa disposition pour le faire, "The Other Lamb" a donc heureusement pour lui la réussite de ses ambitions formelles. Pour peu que vous ne soyez pas hermétiques à son approche contemplative, le film vous happera sûrement au piège de son atmosphère mais ce ne sera pas suffisant pour faire oublier qu'il reste captif de thématiques maintes fois explorées avant lui.