Deux ans après la mélancolique violence de Blue Valentine, Derek Cianfrance revient pour un troisième long-métrage, tout aussi chargé en émotions que son prédécesseur. The place beyond the pines, qui marque également la deuxième collaboration entre Ryan Gosling et le réalisateur, a la douce-amère saveur des drames inévitables.

Au coeur de The place beyond the pines repose une notion inaliénable de cause à conséquence. Certains la nommeront karma, d’autres destin, d’autres encore filiation. Quoiqu’il en soit, c’est à la force de ce phénomène que se heurteront deux hommes, avant même leur rencontre, de par leurs choix. Étrange que le film sorte en France une semaine après Cloud Atlas, qui n’a su malgré ses montées en puissance atteindre la même intensité émotionnelle épurée. Certains reprocheront à Cianfrance la simplicité du scénario – qui offre pourtant à de nombreuses reprises imprévus et prises de risque.

Tout dédié qu’il est à enrichir ses protagonistes principaux, le réalisateur s’oublie dans quelques longueurs, notamment vers le milieu du film. Le rythme parfois déroutant de cette histoire en trois actes aura raison de notre concentration à deux ou trois reprises, lorsqu’à l’action haletante des frasques de Ryan Gosling succèdent les états d’âme de Bradley Cooper, mais notre intérêt est rapidement ravivé. Et il faut avouer que l’ensemble du cast, bien qu’étant souvent peu mis en valeur d’un point de vue esthétique (un Ryan Gosling aux cheveux jaunes qui ne charmera plus qu’une audience complètement subjuguée d’avance – c’est-à-dire moi – accompagné d’une Eva Mendes fatiguée au teint cireux) fait amende par la justesse de son interprétation. Seul gros bémol : la caméra parfois hystérique notamment lors de poursuites, qui aura tendance à agacer. Heureusement, ces passages sont limités.

L’on est inexorablement embarqué dans cette oeuvre qui a la trempe des longues saga familiales et choisit de se concentrer sur la relation complexe que provoquera la rencontre explosive entre les deux protagonistes principaux. Sombre et tragique, mais terriblement impliquant au point que l’on s’attache immédiatement au destin de ses héros, The place beyond the pines est à voir de préférence un jour où le moral est au beau fixe.

Derek Cianfrance sait emplir ses lieux de sens dès les premières images, et nous nous retrouvons immédiatement immergés dans l’ambiance si particulière de la région, où, caméra à l’épaule, nous suivons de près Ryan Gosling à travers la foule désoeuvrée et les artistes inépuisables d’une foire itinérante. Si le niveau d’intimité n’atteindra jamais celui de Blue Valentine, la lumière feutrée de cette première séquence présage du traitement très personnel de la suite par le réalisateur, qui ne s’accorde aucune distance et ne nous offre aucun répit. Les quelques scènes clichés qu’il n’aura pu s’empêcher d’inclure sont largement rattrapées par l’atmosphère intense des lieux et situations que renforce sa bande originale.

Avec The place beyond the pines, Derek Cianfrance confirme sa propension à enrichir un scénario épuré d’une identité extrêmement forte, qui retourne l’estomac à force de puiser sans cesse dans l’émotionnel. C’est le coeur bien accroché et en se départissant de son cynisme que l’on prend le risque d’y adhérer et de se laisser transporter.

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le 20 mars 2013

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