"Un père a deux vies: la sienne et celle de son fils"
Jules Renard

L'une des plus belles choses qu'un film puisse faire à mon sens, c'est de nous happer irrémédiablement vers lui, quand au détour d'un cadrage ou d'un recordage, d'un regard, d'une lumière, sans aucune explication pragmatique naît l'émotion. Pour moi The Place Beyond the Pines est un de ces films..

C'est lors d'un plan séquence magistrale et énigmatique que nous apparaît Luke archétype du bad boy marginale et nomade, héros d'un show mécanique éponyme. Déification du héros solitaire, il se révèle plurielle, la fracture poignant à chaque détour de son être. Personnage en rédemption, c'est au détour d'une révélation fortuite de la paternité que l'homme au delà de l'apparent héros se révèle. Les fractures poignent ainsi au détour de cet être tout en nuances, prisonnier d'un mode de vie, d'une région, stigmatisé il tente de construire.

Au delà de la première partie épique qui parlent d'hommes en crise, en proie leur propres démons, recherchant la reconnaissance et la stabilité, reconnaissance paternelle pour l'un et construction d'un foyer pour l'autre. Récit sur la paternité, The place beyond the pines c'est la génèse d'hommes qui subissent à la manière des Rougon-Macquart une poisseuse hérédité. Ces générations sont comme maudites, l'une comme l'autre étant caractérisées par l'absence de figure paternelle, au propre ( pour Luke et son fils) comme au figuré (pour Avery Cross, et AJ). Le fatum accable ces générations qui à leur manière tentent de construire leur futur à travers un passé erroné et bancal, entre confusion et quête identitaire. Il y a ainsi un véritable combat pour Jason et AJ qui semblent rongés, tout deux inconsciemment brisés par l'absence de leur pères, englués dans le lourd secret qui participe à la machine infernal du destin de ces figures héroïques en crise.Génèse d'hommes où les femmes sont quasi invisibles, relayées au rang de mater dolorosa, ces mères qui souffrent et n'existent que par leur sacrifice, à l'image de Romina. En effet même sur la photographie de Luke et son fils, Romina est masquée comme pour montrer le véritable sujet du film, la filiation.

Se débattant et échappant l'irréparable, une perspective d'avenir semble enfin sourire aux protagonistes que sont en réalité AJ et Jason, l'un s'échappant de la ville et l'autre se réconciliant avec son père. Mais finalement est-ce vraiment un signe de renouveau au plutôt la confirmation du destin déguisé en acte de libre arbitre. Le sourire final d'AJ et la fuite de Jason est à mon sens, un dernier pied de nez du destin, cette machine infernale qui pousse Jason à suivre en biker les traces de son père, cherchant à construire un foyer qu'il n'a jamais eu; et pour AJ la continuité de ce désir de nouer une relation paternelle qui ne peut exister que dans la similarité des carrières. Finalement c'est peut être derrière les pins que se trouve la libération de ce cercle infernal, mais rien n'est moins sur, en attendant laissons-nous porter par cette musique lancinante qui caractérise la relation Luke-Jason, filant sur la route, symbole d'une symbiose intemporelle à travers le catalyseur qu'est la moto.
MaDMka
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le 5 août 2014

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