Alors qu’elle vient de perdre son triste titre d’unique femme à avoir obtenu la Palme d’or et qu’elle n’était pas revenue au long métrage depuis 12 ans, il était temps que des retrouvailles s’organisent avec Jane Campion.
La voici donc de retour, prenant son temps pour poser ses personnages dans un paysage qui prendra très vite en charge leurs tourments, fidèle à un regard qu’on voyait déjà dans les explorations romantiques de La leçon de piano ou Bright Star.
L’atmosphère du western dicte d’emblée les échelles de plans et la photographie fascinante de la chef opératrice Ari Wegner, à qui on devait déjà les belles expériences sur la froideur des intérieurs dans The Young Lady. La chaîne des montagnes, sur laquelle joue sans cesse la lumière, fait la part belle aux ombres mouvantes, et entoure un ranch qui fait figure, au beau milieu de nulle part, d’îlot de civilisation. Tenu, bien évidemment par les hommes, on y retrouvera toutes les dérives de l’Histoire, entre bestialité, brutalité colonisatrice et incapacité chronique à communiquer. Les intérieurs trop vastes de la demeure achèvent de rendre le monde inhabitable : il manque une âme, une présence, une chaleur pour donner un sens à ce quotidien qui semble rivé à la tâche, et pétri par les regrets d’une légende dont on honore la mémoire avec un zèle presque suspect.
La musique de Jonny Greenwood se love parfaitement dans cet écrin triste, et épouse comme il se doit l’irruption de la femme (Kirsten Dunst, d’une fragilité marquante), censée insuffler la vie au mausolée, avant que sa toxicité ne la noie elle aussi. Car l’amertume et la possessivité du maître silencieux des lieux (Cumberbatch, minéral à souhait) a tôt fait de paralyser tout ce qui pourrait faire changer la donne. The Power of the dog est ainsi, dans sa première moitié, d’une langueur vénéneuse, par des échanges de regards, un bal de statues et une entreprise de pétrification qui savent parfaitement restituer l’emprise poisseuse de l’ordre établi. La soirée mondaine et le concert de piano dressent ainsi un très convaincant tableau de cette inéluctable glaciation.
Jane Campion ne veut pourtant pas s’en tenir à cet état des lieux, dans lequel il lui semble nécessaire d’insuffler l’énergie noire du thriller psychologique du roman qu'elle adapte. Dès lors, les pistes se multiplient, et le trio s’enrichit d’un nouveau personnage dont la présence aura pour fonction de faire tomber les masques. Si le récit n’est pas déplaisant et les interprétations toutes convaincantes, le désir de grossir le trait peut faire regretter les silences lourds de sens de la première partie. L’atmosphère presque hitchcockienne n’est pas toujours entièrement convaincante, et la facilité des twists confère aux personnages une fonction narrative qui édulcore ce qu’ils pouvaient avoir d’opaque jusqu’alors. La musique elle-même dérive vers des dissonances trop marquées, pour accompagner cette mue vers le film noir, et ne compense pas l’inefficacité de la sensualité ambivalente qu’on tente d’installer à l’écran.
Le mutisme des débuts semble avoir finalement effrayé la cinéaste, qui ne se satisfait pas de la combustion lente dans laquelle son regard acéré faisant pourtant des miracles. Comme s’il fallait s’en remettre aux hommes et à leur façon traditionnelle de conclure les histoires. La femme qui les regardait savait pourtant, par son silence, en dire bien davantage.
(6.5/10)