A priori, pas trop à attendre de ce film consacré à l’affaire Lance Armstrong, sur laquelle tout ou presque a déjà été dit et ressassé, à présent proposé par un Stephen Frears en roue libre (c’est le cas de le dire) depuis quelques années, metteur en scène très tributaire de la qualité des scénarios qui lui sont proposés et sans doute un peu surfait.
The Program parvient à déjouer le piège principal – celui de proposer un film sur le vélo, avec accumulation d'images sur les courses et les caravanes cyclistes. Celles-ci sont peu nombreuses, montées de façon dynamique (comme l’ensemble du film) et savent alterner entre documents d’archives (peu nombreux mais toujours opportuns) et de fiction. Le savoir-faire de Stephen Frears est indéniable.


Le film est donc bien centré sur le personnage de Lance Armstrong (mais pas totalement, on y reviendra), interprété de façon très crédible par Ben Foster, très charismatique et investi dans le rôle. On n’apprend certes pas grand-chose de nouveau – mais le film reste très frustrant, parce qu'il ne répond pas à la principale attente du spectateur : on espérait, sous la forme d’une fausse fiction, un document sur les arcanes du vélo, sur la mafia qui le contrôle, avec ses multiples tentacules. On en restera à un destin individuel, celui d’un homme seul, entouré par une petite bande, au fonctionnement souvent artisanal (la façon de contourner le contrôle antidopage inopiné, les vélos vendus pour payer le Dr Ferrari …)


Mais rien sur les milliards brassés bien au-delà de la personne d’Armstrong, rien, ou presque, sur l’implication, avérée, de l’UCI et des hautes autorités cyclistes, rien sur les pressions effectuées sur les réfractaires (quelques instants consacrés aux interventions en course d’Armstrong auprès de Bassons ou de Simeoni, très anecdotiques, et plus méprisantes que vraiment menaçantes), peu de choses même sur l’irruption de la science et de la médecine dans ce nouvel eldorado. Certes le cas du Dr Ferrari (G. Canet, méconnaissable), apprenti-sorcier aussi cynique qu’efficace, est sans doute développé – mais comme pour Armstrong, il ne s’agit que d’un destin individuel et excessif.


Le film n’est pas non plus un biopic, rien sur Armstrong avant sa gloire cycliste, peu de choses pendant (une évocation très rapide de son mariage), tout est effectivement centré sur le vélo, le dopage et sur son cancer (et les affaires consécutives), au centre de tout. Mais ce parti pris, consistant à évacuer tous les autres éléments, constitue aussi l’élément le plus intéressant de The Program. On parvient ainsi à une manière d’épure, qui cerne encore mieux, plus profondément, le personnage que si le récit était encombré d’anecdotes parasites. Le résultat est assez fascinant : un personnage glacial, s’en tenant strictement aux faits (les questions morales ne se posent pas, jamais), engagé dans un combat total où seule la victoire compte – sur les autres, sur la mort et sur soi-même. Une volonté presque abstraite, où le plaisir même semble évacué (aucune autre explication à son retour à la compétition, d’ailleurs raté). Dans ce contexte extrême, le cancer des testicules, toutes les souffrances qui en résultent, n’est sans doute que le révélateur extrême de cette volonté absolue. Assurément, il en a, même après ablation. On peut alors, et sans anecdotes, imaginer un passé, une identité, sans doute très texane, pour une construction humaine (pré-dopée ?) quasiment sans failles ; On aura donc très peu d’échappées d’humanité – comme le sourire obtenu de l’enfant cancéreux et mourant. Peu d’humanité, mais sans doute une sincérité aussi forte – même dans les poncifs débités lors de ses conférences humanitaires, sur la volonté, la force, l’espoir … (dont il n’est évidemment pas dupe), et toujours sur lui-même : il ne fait aucun doute qu’après avoir été déchu de tous ses titres, l’homme, dérisoirement entouré dans son séjour de ses sept maillots jaunes posés sur les murs, demeure totalement convaincu de son mérite et de sa force – il était bien le meilleur dans un monde où tout le monde se dopait. Sincère. Glacial. Détestable sûrement. Assez fascinant.


Ainsi doit-on interpréter sa relation contrastée avec Floyd Landis (également interprété de façon crédible et convaincante par Jesse Plemons). Landis, tourmenté par une éducation religieuse quasi intégriste, n’est pas tout à fait le double d’Armstrong. Il est plein d’états d’âme, mais se rallie facilement à la même logique de victoires, et au bout du compte son comportement se révèle sans doute bien plus glauque. La « réponse » d’Armstrong, lorsque Landis, pris pour dopage (après des dénégations pathétiques) lui demande de le reprendre comme équipier (il était parti au nom de raisons « morales ») est imparable : « le problème, c’est que tu as été pris … » On raccroche. Ce n’est évidemment pas une affaire de morale – il s’est fait prendre, c’es pire qu’une faute, c’est une erreur. Et se plaindre est tout aussi inadmissible. C’est évidemment le témoignage à charge de Landis qui fera tomber Armstrong.


La relation avec Contador, évoquée en quelques secondes, est également très révélatrice. Armstrong revient, quatre ans après, il va refaire le tour, pas pour le plaisir, pas pour la gloire ni l’argent, pour un besoin très au-delà de lui-même. Mais ce n’est pas l’affaire de son successeur, découvert en pleine action sur un vélo d'entraînement. Il le regarde à peine, lâche une phrase indifférente. Et à la fin du tour, toute l’ambiguïté du "je suis troisième » (derrière Contador évidemment grand vainqueur), lâché par Armstrong avec un sourire très artificiel traduit sans doute autant la fierté pour le travail et l'effort consentis que le désarroi devant la défaite.


Le vrai mystère et la profondeur du film résident sans doute dans l’évocation de ce personnage excluant toute empathie ou toute sympathie, mais (arm)stronger than life. Mais, même à ce niveau, le film soulève un autre problème. Armstrong n’est pas tout à fait le seul centre du récit. Une place conséquente est en effet accordée au journaliste qui a dénoncé publiquement ses pratiques (et qui semble avoir oublié, pour le film, d’associer nombre de personnes ou d’associations qui ont joué un rôle aussi important et aussi risqué que lui dans l'affaire …) On retrouve là un procédé habituel et assez détestable, comme par exemple dans le Hoffa de Danny De Vito, dont le personnage principal n’est pas Hoffa mais son co-camionneur et témoin (évidemment interprété par De Vito …), ou encore, en pire, dans Cry freedom (Attenborough) où l’histoire du résistant et martyr sud-africain Biko passe au second plan derrière les petits soucis du journaliste qui la narre …


Dans The Program, le personnage principal reste bien Lance Armstrong – mais l’ouverture d’un second centre d’intérêt (moindre), combiné avec l’absence de réelle nouveauté ou surprise dans les informations transmises et dans leur traitement ôte sans doute beaucoup d’impact au film.

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le 25 sept. 2015

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