Un sujet en or massif. Lauren Greenfield avait initialement conçu The Queen of Versailles comme une sorte de télé-réalité en immersion chez un richissime promoteur immobilier marié à une ex-top model largement siliconée, symbole absolu de la réussite financière dictée par l'American Dream. Le couple et ses enfants vivent au début du documentaire dans une maison de 2500 m², avec 17 salles de bains et un personnel comptant 19 membres, mais aspirent à quelque chose d'encore plus gigantesque : ils envisagent de construire un "petit" Versailles sur une colline artificielle d'Orlando, en Floride, dans des dimensions encore plus délirantes. 8500 m² de surface habitable, 30 salles de bains, et un nombre proportionnel de cuisines, de piscines, de terrasses, et d'escaliers olympiens. Problème : la bulle économique de la crise de 2008 leur éclate au visage et met un sérieux coup d'arrêt à leur projet immobilier pharaonique.
Autant dire que la tournure des événements n'a pas joué en leur faveur, et qu'ils ont déposé plainte à de multiples reprises contre les auteurs et producteurs a posteriori, malgré l'accord passé, sans succès.
C'est un documentaire en deux temps ou presque, avec le faste absolu, l'opulence inimaginable, débouchant sur une crise familiale directement liée à la crise financière. Et on est en plein dans le sujet, puisque David Siegel a construit sa fortune notamment sur le principe de l'immobilier à temps partagé, le timeshare, autour d'un empire industriel représenté par Westgate Resorts et sa horde de commerciaux chauffés à blanc pour qu'ils vendent des appartements hors de prix à des gens écrasés de crédits qui n'en ont pas les moyens. Autrement dit, il s'agit d'un famille milliardaire jetée du jour au lendemain, et ce pendant quelques années, dans la pauvreté des millionnaires. Licenciements à tour de bras et amertume grandissante (chez le mari, principalement) au menu. On n'a aucun mal à croire que ce qui leur arrive représente une catastrophe dramatique à leurs yeux, sans aller jusqu'à dire qu'on peut entrer en empathie avec ces personnages grotesques, mais il n'empêche que c'est très drôle.
Le mari milliardaire marié à une bimbo 30 ans plus jeune que lui disant "I can't see what she sees in me, but we have a great relationship".
La riche maman déchue qui tente péniblement d'expliquer à ses enfants qu'il n'auront plus de jet privé : "the first time I took the boys on a commercial plane, they said Mommy, what are all these people doing on our plane ?".
La conception du bonheur clairement affirmée, sans l'ombre d'un doute : "Everyone wants to be rich. If they can't be rich, the next best thing is to feel rich. And if they don't want to feel rich, then they're probably dead."
Des tirades comme celles-ci, le film en regorge, à côté d'anecdotes plus ou moins drôles, plus ou moins graves, entre la participation de Siegel à la réélection de Bush de manière pas tout à fait légale, son amitié avec les Trump et autres Sarah Palin, les caisses de marbre de Chine qui s'accumulent pour une valeur de 5 millions de dollars, etc. Les domestiques qui vivent dans des chambres de 10 m² alors que le manoir compte des dizaines de suites royales vacantes. Le repas de Noël dans leur maison privée de domestiques qu'ils vivent comme une expérience de pauvres gens miséreux, avec profusion de cadeaux et dégustation de caviar à 2000 dollars, est presque aussi drôle que la maison qu'il retrouvent après leurs déboires financiers, remplie de merdes de chien (il n'y a plus personne d'autre qu'eux pour les ramasser) et d'animaux morts abandonnés dans leurs cages. "Je ne savais même pas qu'on avait un lézard", dit le gamin alors qu'il s'agit d'une énorme bestiole morte déshydratée. On donne 25000 dollars pour Miss America, mais seulement 5000 pour une amie qui ne parviendra pas à rembourser le crédit de sa maison. Et la relation purement professionnelle entre un père et son fils...
The Queen of Versailles illustre à merveille ce rêve américain du toujours plus grand, un idéal perçu comme une évidence, celle de l'émancipation vers un bonheur universel auquel tout le monde aspirerait. Construire la maison la plus grande et la plus onéreuse des États-Unis à coups de centaines de millions de dollars, et finalement engueuler sa femme-trophée pour avoir laissé la lumière allumée et le surcoût engendré sur la facture d'électricité : dans le cadre d'une fiction, une telle trajectoire aurait été jugée excessive et irréaliste sans hésitation.
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