Pendant les premières minutes de son nouveau film, Alejandro Gonzalez Inarritu semble convoquer Terrence Malick et Steven Spielberg à sa table. On croirait en effet son attaque d'un camp de trappeurs tout droit sortie du Nouveau Monde, et l'aspect viscéral d'une plage du débarquement. Sidérante, au plus près de l'action, crue, cette scène inaugurale inattendue colle le spectateur à son fauteuil. Pour mieux le fasciner ensuite. Car quand il reprend sa respiration, Inarritu le plonge au coeur d'un survival qui passe de manière habile du collectif à l'individuel, comme on retire la peau et la viande pour dégager l'os et le gratter.


The Revenant se resserre en effet assez vite sur son attraction principale : un Leonardo Di Caprio maltraité et en état de grâce. Mais sa performance serait vaine sans, en face de lui, un Tom Hardy moins monolithique qu'il n'y paraît dans son rôle de prédateur. Comme lors de l'attaque de l'ours qui lascère le corps de sa victime, il est ainsi installé comme un dominant par Inarritu, qui utilise d'ailleurs les mêmes angles de caméra pour le mettre en scène.


Glass, lui, régresse peu à peu à l'état animal, rampant et délaissant le langage. Il sera privé de tout ce qui fait de lui un homme. Il ne sera plus animé que par l'instinct. Et la volonté. Dans la vallée de l'ombre de la mort, là où les colons ont renoncé à l'humanité et où les indiens sont déjà instrumentalisés, pillés et empoisonnés par la civilisation. Alors que l'on parle beaucoup du Seigneur, la religion et ses valeurs sont elles aussi tombées sous les assauts de l'avidité et de la sauvagerie, comme en témoigne les décombres de cette église, ces images saintes démolies et outragées. Les ruines ne sont pas que dans le coeur.


The Revenant est finalement une histoire de régression. Glass ne revient pas du royaume des morts. Il revient à un état primal. Inaritu filme l'humanité de ses personnages qui se meurt comme il filme les horribles blessures qui s'infectent du corps mutilé et meurtri de Leonardo Di Caprio : sans concession et sans fard, la vengeance ou la fuite comme unique boussole. Tout cela sous les yeux d'une nature aussi belle qu'impassible, érigée comme l'unique témoin de l'action quand la caméra porte brusquement aux cieux ou qu'elle s'éloigne de l'action. Le réalisateur joue avec elle en alternant sa mise en scène avec un point de vue étranglé quand il suit Glass dans sa survie, au plus près de son protagoniste, réduisant le champ de vision du spectateur.


La Nature devient dès lors aussi magnifique que macabre. La photographie d''Emmanuel Lubezki lui écrit un véritable poème épique. D'abord boueuse, aqueuse puis virginale, c'est elle, finalement, le personnage principal de The Revenant. Elle qui voit tout, qui entend tout, qui prend tout autant qu'elle donne. En témoigne cette carcasse de laquelle sort un Glass nu, image marquante dans un film qui les collectionne, seconde naissance du personnage après celle où il sort de la tombe dans laquelle Fitzgerald l'a précipité. La semence du duel final mise en terre, The Revenant s'applique, pendant deux heures trente, à secouer son spectateur, à l'hypnotiser dans une odyssée sensorielle tout aussi hallucinée que viscérale, entre beauté, violence et sauvagerie.


Behind_the_Mask, qui entend les flèches siffler.

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