J'aurais voulu plus t'aimer, cher Revenant.

J'ai avec Alejandro Inarritu une relation des plus étranges. Chacun de ses films m'a deçu à sa façon et pourtant j'attends chacun de ses nouveaux films avec énormément d'impatience. Les premières BA de Birdman m'avaient mis l'eau à la bouche pour qu'au final je sorte de cette "expérience" au bord de l'agacement. Dans le cas de The Revenant, l'excitation était encore plus forte, tant les premières images étaient sublimes et la promesse forte. Pourtant, encore une fois, je suis sorti de cette "expérience" deçu.


The Revenant est un petit peu un anti-Birdman. Contrairement à son film précédant qui était rempli d'agitation, de dialogues, de bruit voire parfois de fureur, ici The Revenant se veut comme un voyage iniatique et contemplatif. Peu de mots prononcés, peu de musique, des mouvements de caméra fluides et voluptueux et du vide, du vide, encore du vide. The Revenant est le Yang de son Ying Birdman. Le problème c'est que The Revenant et Birdman sont filmés de la même façon.


On ne peut pas reprocher à Inarritu de ne pas avoir un style visuel assez fort et identifiable. Si vous me demandez je trouve quand même que l'influence d'Emmanuel Lubeszki est trop présente et par moments j'avais l'impression de regarder un film récent de Terrence Malick mais tout de même, quand on voit un film d'Inarritu on sait que c'est le Mexicain qui est à la baguette. Pour résumer on a des focales très courtes 99% du temps, une camera collée au pif des acteurs, des mouvements de caméra voluptueux, des contre-plongées puis des plans-séquences, qu'ils soient vrais ou faux. Ce n'est pas tout le style d'Inarritu mais c'est quand même un résumé honnête. Sur The Revenant on ajoutera l'utilisation exclusive de lumières naturelles qui donnent lieu à des images absolument sublimes. Car The Revenant est tout de même visuellement sublime la plupart du temps. Ce qui m'impressionne chez Inarritu c'est à la fois son envie de bouger la caméra sans arrêt sans jamais omettre de composer ses cadres. Cadres mouvants, donc. On n'est pas dans du documentaire, pas dans une sorte de "cinéma-vérité" que je déteste. On est face à du vrai cinéma, avec un travail de mise en scène réel et puissant. C'est donc beau, travaillé, pensé...Et pourtant ça ne m'a pas totalement plu.


Pourquoi ? Parce qu'Inarritu ne sait pas, ou ne veut pas, sortir de son "style". Les éléments que je vous ai énumérés plus haut composent l'intégralité de l'identité visuelle du film. Personnellement je pense que la réalisation ne se limite pas à un style, à une empreinte personnelle laissée par le réalisateur sur une série d'images. La réalisation est un langage et comme le langage parlé, il s'agit pour être riche, complèxe et intéressant de varier son lexique, de jouer avec la grammaire, de choisir les bons mots pour dire les bonnes choses. Hors Inarritu filme tout, absolument tout, de la même façon. La joie, la tristesse, la douleur, la violence, la peur. Tout passe par la lentille d'une courte focale postée à un mètre à peine de ses acteurs. On a donc assez rapidement une sensation de répétition qui ennuie l'oeil. Inarritu gagnerait à varier ses cadrages, à s'extirper de son dogme ou du dogme de son Directeur Photo. Cela aurait permis à The Revenant d'être excitant en plus d'être splendide.


Il y a bien-sûr beaucoup de scènes très réussies, justement parce que ce "style" Inarritu a un impact incroyable quand il s'agit de filmer le mouvement, la fureur et la violence. On a beaucoup parlé de la scène de l'ours qui est effectivement très forte mais j'ai aussi beaucoup aimé la scène de combat finale, très longue, très dure et filmée en plan-séquence. D'autres scènes, par contre, sont franchement gâchées par ce même "style" Inarritu. Plus particulièrement toutes les scènes en intérieur. Là où il aurait fallut prendre un peu de distance, laisser le spectateur souffler, ce coquin d'Alejandro reste au coeur de l'action et ne pose jamais sa petite caméra numérique.


Scénaristiquement le film ne raconte pas grand-chose. C'est sa force et sa faiblesse. Sa force car on suit avec une empathie non feinte le parcours de Hugh Glass dans la nature si cruelle du Missouri, qu'on est avec lui dans chaque moment, dans chaque douleur, dans chaque rictus. Sa faiblesse car filmer la survie d'un homme n'est évidemment pas assez pour remplir un film de quasiment deux heures et demi. Du coup le récit s'éparpille un peu sur l'arc consacré à Fitzgerald et surtout sur celui consacré au groupe de trappeurs qu'on suit de temps en temps sans jamais tout à fait savoir pourquoi. Reste que le voyage est fort, beau et que les longs moments de pure contemplation ne sont pas excluant.


Enfin on dira des acteurs qu'ils sont excellents. DiCaprio aura eu son premier Oscar pour un rôle quasiment muet, dans un film où il est à moitié mort pendant plus d'une heure et où il aura tout de même eu le courage de baver beaucoup. L'Académie à ses goûts à elle, et je ne suis pas certain de les partager. Tom Hardy, par contre, m'a beaucoup plus impressionné par son mélange de force brut, de fragilité et de grande fourberie. Son accent sudiste est aussi confondant de réalisme, surtout quand on l'a vu jouer un gangster juif Irelandais dans Peaky Blinders.


The Revenant m'a donc à la fois régalé et deçu. Ses images d'une beauté absolue sont meurtries par une redondance du lexique cinématographique utilisé par son réalisateur. The Revenant aurait pu offrir beaucoup plus, marquer beaucoup plus. Mais je me connais, malgré la déception je vais attendre avec impatience le prochain film du Mexicain dès qu'on commencera à en entendre parler. Peut-être qu'au fond je sais qu'il peut potentiellement être celui qui mettra en images mon idéal de cinéma et que jusqu'ici il le frôle sans jamais le toucher. Une sorte de grand amour impossible. Ou en transit. Vivement la suite.

Ruru_
6
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le 10 avr. 2016

Critique lue 408 fois

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