Autant je déteste qu'une œuvre ne mette pas en valeur une idée à laquelle je tiens, autant je suis souvent transporté par une autre, qui saura renverser mes préjugés.
Les premières minutes de The Rider sont de ce point de vue assez édifiantes: nous nageons dans la caricature la plus cinglante. Qu'a-t-il bien se passer au cours de l'heure et demie suivante pour qu'à la fin du film, cette famille de Dakotans à priori demeurée m'ait à ce point ému ?
Deux ou trois choses assez simples, sans doute. Ce qui tombe bien, puisque la simplicité est au cœur du projet de Chloé Zhao. Le sujet est lui-même limpide: un jeune homme est privé de l'exercice de son unique passion, le rodéo, à cause d'une accident subit en pleine séance de cet art brutal et frustre. Pas de quoi grimper au rideau, fut-il à franges.
Il y a d'abord dans la façon qu'a ce jeune adulte têtu de s'accommoder de son sort quelque chose de terriblement touchant. Il ne plie sous aucune injonction parentale, amicale ou même médicale, et ne suit, on le sent très vite, que le cours de sa conviction intime. Et si le simple fait de renoncer à la pratique du rodéo pourrait paraitre à un public européen (par exemple) un élément dramatique bien mince, la chose prend une épaisseur étonnante lorsqu'elle est confrontée à la grisaille de l'existence de Brady, en dehors de l'univers du cheval.
Ce qui est montré du boulot en supermarché est pourtant la aussi tout en retenue, bride serrée: rien de bien manichéen ou surligné. Il y fera des rencontres en demi-teintes qui ne poussent jamais le regard du spectateur vers l'apitoiement.
La deuxième facette de cette histoire est tout aussi surprenante. Il y a deux ou trois scènes dans le film dont on se dit qu'elles ne pourraient y être incorporées sans que son acteur principal soit réellement celui dont il s'agit ici. Son empathie avec les chevaux devient saisissante lorsqu'il s'agit d'apprivoiser un de ces animaux encore à l'état sauvage, et toute l'intensité de sa relation fusionnelle avec les seigneurs à quatre pattes des prairies déborde de l'écran pour rendre l'image singulièrement plus large que son format d'origine.
Enfin, on pourrait voir dans l'entourage de Brady un tableau volontiers larmoyant et pathétique au service de la sentimentalité générale du propos. Mais cette hypothèse est rapidement contrecarrée par deux éléments solides. Le choix d'un père bourru alcoolique et détaché, d'une sœur souffrant d'un handicap mental et d'un ami paralytique ne sont pas un choix de scénariste, dans la mesure où il s'agit des vrais pères, sœurs et amis de Brady. Qui plus est, le traitement des deux derniers personnages est admirable dans le sens où leurs handicaps ne sont montrés que sous un jour positif et souriant: Lilly nous charme presque immédiatement grâce sa logique imparable, et Lane ne montre que son appétence à retrouver les sensations de la remise en selle.
Il a été reproché à Chloé Zhao ses petits arrangements avec la réalité. Par exemple, que Lane soit devenu paraplégique dans la vraie vie à la suite d'un accident de voiture et non de cheval. Mais c'est bien là toute la différence, parfaitement louable, entre la fiction et la réalité. Ne voulant s'attacher à un travail de reconstitution hasardeux, la réalisatrice a préféré recréer un univers dont les (modestes) prises de liberté permettent une immersion sans doute encore plus complète de la part d'un spectateur extra-terrestre, comme peut l'être tout habitant de la planète habitant en dehors du Dakota du Sud.
Brady Jandreau explique ce que l'on devine soudain sans l'ombre d'une explication pendant le film: l'animosité entre indiens et cowboys est une grande partie une de ces nombreuses légendes de l'ouest, dans le mesure où l'ennemi des natifs était essentiellement l'armée américaine, une partie des colons et des tribus indiennes se retrouvant sur une relation puissante que chacun entretenait avec la nature, et notamment l'un de ses plus beaux représentants, les chevaux. Sans doute le métissage de l'acteur (deux tiers indien et un tiers blanc-américain) lui permet-il de soutenir sans polémique déplacée une telle assertion.
Un pour tous, tous bourrins !