Doggy style
Au début, on lit "Australie. Cinq ans après la chute", et on n’en saura guère plus. Une bombe, un virus, une épidémie ? Une guerre peut-être ? Seule certitude : l’humanité est revenue au basique, au...
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le 11 juin 2014
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[Spoil]
Dans un monde où l’argent n’a plus aucune valeur, l’humanité retourne à ses plus bas instincts en adoptant la loi du plus fort. Plus de moral, plus de pitié. Les hommes les plus désespérés cèdent à la violence afin de survivre dans une société moribonde. Éric, incarnation symbolique de tout ce malheur, vient de perdre la seule chose qui comptait encore pour lui. Il se lance dans un périple vengeur pour abattre toute sa colère sur ceux qui lui ont fait du tort.
Le monde vient de perdre l’élément qui régissait tout le fonctionnement d’une société : l’argent. Signe de valeur d’un objet, du pouvoir d’achat, ou de la qualité d’un travail, l’argent ne vaut maintenant guère plus qu’un bout de papier. A travers le périple d’Éric, il est intéressant de constater à quel point notre système économique a indiqué le degré de notre civilisation et à quel point sa disparition l'a fait régresser. En Australie, la seule activité professionnelle qui parvient à se pérenniser est l’industrie minière. Les hommes qui s’attachent péniblement à la notion caduque de marché du travail parcourent le monde afin d’y travailler pour renouer avec le principe du salaire, mais il s’agit d’un acharnement irrationnel fondé sur un manque d’adaptation au monde tel qu’il est devenu. On ne parle plus d’humanité, mais d’animalité. Chacun prend ce dont il a besoin quitte à tuer, et ceux qui se réfugient dans le confort perdu du système d’antan sont les premières victimes.
Dans ce royaume déchu où l’animalité prime sur la morale, on décèle indéniablement du Cormac McCarthy. Le roman « La Route », œuvre phare de l’auteur, semble être en effet une source d’inspiration que l’on ressent facilement dans cette ambiance néo-western si singulière. Le présent métrage s’appuie sur une photographie qui sert l’objectif de représenter habilement toute la froideur et la férocité de ce monde. En effet, le paysage se partage la vue entre les déserts arides, les habitations délabrées, et les cadavres signes d’une sauvagerie comme aucune autre. Seuls les quelques chars et les quelques soldats qui parcourent le pays fournissent l’illusion d’une justice alors que la désolation et l’anarchie règnent jusqu’à perte de vue. Une vision post-apocalyptique atypique et réaliste qui nous transporte dans une Australie terrassée par la chute du système occidental.
Soit l’Australie, dix années après l’effondrement économique mondiale. Le présent métrage est dominé par une volonté d’épurer consciemment l’ensemble de ses éléments. Dès son synopsis minimaliste jusqu’au déroulement de l’intrigue elle-même : un homme qui va rechercher sa voiture volée dans un monde post-apocalyptique. On fait difficilement une quête plus simpliste, mais tout l’intérêt est de ne jamais répondre aux attentes prédéfinies du spectateur. Jamais on ne saura, si ce n’est à travers de fugaces indices, les origines de la crise économique ni ce qu’était la vie du protagoniste avant ces événements.
A l’instar de la lenteur des mouvements de caméras qui étirent longuement la vision que nous avons des paysages. David Michôd joue avec l’inactivité pour en faire paradoxalement un rythme engageant avec des scènes souvent muettes, un protagoniste mutique, tandis que le moindre élément dramatique est désactivé pour prononcer encore davantage l’absence d’émotions de ce monde post-apocalyptique sourd. C’est notamment le cas des morts qui surviennent sans que l’on s’éternise longuement sur eux mais plutôt de façon très simple et rapide. Une manière implicite de nous signifier que même le meurtre n’a dorénavant plus d’impacts ni de conséquences, que ce soit émotionnellement ou judiciairement.
Le personnage de Guy Pearce est l’incarnation symbolique des nouvelles normes du monde. C’est un homme mutique, solitaire, et en colère, qui vient de tout laisser derrière lui après la perte tragique de son seul réconfort. Son deuil alcoolisé dans un bar est perturbé à cause du vol de son véhicule par un groupe de vagabonds. Du début à la fin, le présent métrage persiste à nous faire croire que l’origine du périple vengeur d’Éric est le vol de sa voiture sans que l’on comprenne vraiment pourquoi. A vrai dire, en cours de visionnage plusieurs raisons farfelues peuvent éclairer le mystère sans toutefois devenir des motivations totalement convaincantes. Ce personnage, conséquence des dérives du monde, s’attache inlassablement à son dernier bien. Quand le monde est en feu et que personne ne possède plus rien, les restes de la pensée consumériste peuvent s’avérer tenaces au point de devenir un tueur de masse pour une simple voiture. D’un autre côté, quand on perd toutes les raisons qui freinaient nos pires envies, le tort de trop même si très pauvre peut engager des conséquences dévastatrices et disproportionnées.
Quoi qu’il en soit, malgré quelques indices très discrets il faudra attendre le dénouement final pour comprendre la véritable raison de toute cette haine. S’il le fallait, Éric aurait assassiné le monde entier non pas pour une voiture, mais pour offrir un enterrement respectueux à son chien récemment décédé et présent dans le coffre du véhicule. On en vient à affirmer encore davantage la relation anthropomorphique entre l’animal et l’homme. Autrefois réservé à une place purement secondaire au sein de la famille, l’animal de compagnie parvient dans un foyer à obtenir le statut de membre à part entière. C’est un ami, un confident, un remède à la solitude, une relation affective. Ainsi, quoi de plus normal que de voir Éric être endeuillé par la perte de son chien de manière aussi forte et profonde que celle d’une femme ou d’un enfant. Finalement le monde de The Rover est un royaume meurtri où la vie des humains ne compte pas plus que celles des animaux, et même un peu moins. Peut-être est-ce d’ailleurs la seule véritable réaction humaine du récit, même si elle engendre encore plus de peine au milieu de toute cette anarchie, alors que l’humain devient de plus en plus animal.
The Rover est un mélange fascinant entre le genre post-apocalyptique et le néo-western. Un film souvent mutique qui parvient pourtant à fournir une parole pertinente si l’on analyse minutieusement les expressions transmises par le paysage et par les visages des personnages. Le désespoir y est atmosphérique, la peine et la douleur suintent de l’œuvre toute entière, tandis que l’animalité prend le dessus sur l’humanité.
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le 9 nov. 2015
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