Qu’est-ce qui a bien pu se passer depuis quelques mois qui fît du nouveau film de Michel Hazanavicius un présumé mal-aimé de Cannes 2014 ? Comment l’homme du Grand Détournement et d’OSS 117 a-t-il pu devenir en quelques semaines ce type dont personne n’attendait grand-chose en amont de la première mondiale de The Search ?
Parce qu’en effet, lorsque mon réveil sonna ce matin, j’avoue avoir hésité pour je-ne-sais quelle raison. Et me demander pourquoi. Je vous un culte immense au Grand Détournement, j’aime beaucoup les aventures d’OSS 117 et je tiens The Artist pour bel exercice de style. The Artist. Là serait le hic. Hazanavicius, j’en suis persuadé, est passé de très bon cinéaste à mec dont on n’attend rien d’exceptionnel après The Artist. Pourtant, je n’ai pas souvenir d’un accueil cannois tiède, non.
Seraient-ce donc les Oscar, le succès un peu trop gros pour ce qui était un bon petit film qui amenèrent la rancoeur dans les têtes des festivaliers ? Probable.
En tout cas, et pour la deuxième fois depuis le début de festival (Captives étant la première), des sifflets ont résonné dans le Théâtre. Pour quoi ? Pour qui ? J’ai beau réfléchir, je ne vois rien de mal-aimable justifiant une détestation à en siffler.
Au contraire, d’ailleurs, le film tient des propos assez forts sur ce que fût la Russie époque Tchétchénie, qui font par hasard (le tournage du film ayant débuté avant les premiers événements) échos avec le conflit ukrainien.
Hadji, un gamin tchétchène, voit ses parents tués par des soldats russes, et parvient à fuir. Il rencontre Carole (Bérénice Béjo), chargée de mission pour l’Union Européenne. Avec elle, il va doucement revenir à la vie. Parallèlement, Raïssa, sa grande sœur, le recherche activement parmi des civils en exode. De son côté, Kolia, jeune Russe de 20 ans, est enrôlé dans l’armée. Il va petit à petit basculer dans la violence et l’absurdité de la guerre.
3 histoires parallèles, le procédé évoque Inarritu, mais est vite fait évacué par Hazanavicius qui fait bien peu de mystère des liens unissant les différents protagonistes. Ce qui l’intéresse est ailleurs. En montrant les rouages d’une guerre que tout le monde (soldats, populations, ONG) subit sans trop comprendre, en suivant les ordres régis par des entités fantômes, chacun cherche son confort, chacun cherche sa survie.
La tranche de vie la plus réussie du film est celle du soldat, Kolia. Le procédé d’embrigadement par l’intimidation, rappelant inévitablement Full Metal Jacket s’avère très fluide, Hazanavicius prouvant à nouveau son talent inné pour le sens du rythme. Son montage, toujours très réussi, ressemble à la guerre subie par les protagonistes de son film : de rares moments de repos, salvateurs, pour quelques scènes chocs, et surtout de l’appréhension, du suspense, beaucoup. Chaque sourire, chaque lueur d’espoir donne un nouveau souffle au spectateur qui savoure le fait de ne pas être confronté à un énième larmoyant plaidoyer contre la guerre.
D’aucuns reprocheront le procédé, quelque peu simpliste, voire pompeux. On est en tout cas loin de la purge attendue et redoutée… sans trop de raison. On ne crierait d’ailleurs pas au scandale si samedi, un prix d’interprétation était remis à Abdul Khalim Mamatsuiev, tout jeune acteur interprétant Hadji, qui crève l’écran et sauve le film rien qu’avec ses yeux. Dans ceux-ci viennent se nicher toutes les horreurs tues par Hazanavicius, l’espoir permanent coûte que coûte d’un mieux à venir.