Une surprise et une bonne. The Shade sortit en 2024 et réalisé par un novice, Tyler Chipman - on le sait, on le sens - passionné par le genre, co-écrit ce film avec David Purdy et propose dans la foulée un des films d'horreur les plus, si ce n'est inspiré, au moins efficace des dernières années, toutes catégories confondues.
Là ou The Shade souffre parfois de son côté film d'horreur indé un peu kitsch, avec son héros torturé/tatoué/tatoueur, artiste et traumatisé qui a trop peur - se confiant la clope au bec et le vague à l'âme à sa go de la fac au volant de sa polo qui ne cherche qu'à le comprendre et à lui rouler des galoches - passé ça et la fin qui peut faire son effet mais qui pour moi manque de donner le coup de marteau final et frôle le risible, on pardonne assez aisément ces erreurs à ce The Shade qui regorge de qualité.
Le film suit donc Ryan Beckman - interprété efficacement et de manière nuancé par Chris Galust qui gagne à jouer dans de plus grosses productions malgré quelques échecs ici et là - Ryan est donc un étudiant, apprenti dans un salon de tatouage, en proie à de terribles crises d'angoisses et souffre de la culpabilité du survivant après avoir assisté au suicide de son père (un peu de loin) et après avoir nourri de nombreux regret sur son inaction. Lorsque son frère aîné, Jason réapparaît dans la famille - joué par Dylan McTee qui lui aussi parvient à proposer une performance assez solide qui vient intensifié le côté drame familial du film - les tensions augmentent, Jason semble par moment presque possédé et l'anxiété grandissante de Ryan semble s'amplifier à mesure que le danger approche. Déjà niveau plot, The Shade n'invente pas grand chose mais s'investit réellement pour rendre ce pas grand chose réellement crédible, ce que beaucoup de film d'horreur ne parviennent pas à faire et c'est en somme déjà là dedans que The Shade tire toute sa force, sa capacité à utiliser le blue print du storytelling efficacement. Pour raconter une histoire, il faut déjà soit-même y croire et ce n'est pas parce que l'on s'inspire et qu'on réutilise qu'on ne peut pas insuffler à son projet une réelle identité, et Chipman et Purdy parviennent à faire juste ça, donné un nom et une raison d'être à leur film.
Au delà du plot simple et juste un peu lifté, de ses acteurs et principalement de Galust, rôle principal et réel point focal du film, The Shade est aussi un film qui vibre grâce à une bande son tout simplement bluffante pour ce genre de production. Les morceaux composés/choisis sont omniprésents, porte ce film et aide à lui donner un de ses visages le plus intéressants et le plus sous-exploité dans le genre : celui de l'intimisme, de l'horreur dans l'affect. On le ressent dès les premières scènes grâce notamment à la relation fraternelle entre Ryan et son petit frère Jaime, puis au fil du film dans la relation entre ces deux-là et leurs grand frère absent, et finalement les relations différentes et conflictuelles d'une mère surchargée de travail et absente également.
En soit, l'histoire qui est raconté est celle d'un jeune homme déconstruit par le traumatisme qui doit se reconstruire malgré son existence en proie au deuil et à l'anxiété, et qui doit se guider lui même à travers la vie tout en prenant soin des autres, d'un autre, de son petit frère ici, malgré l'horreur d'avoir assisté au suicide de celui censé tenir ce rôle. L'histoire est celle d'une possession, celle qui se transmet d'un point de vue psychologique, celle de la reproduction glaçante et implacable que l'on assiste à travers le personnage de Jason. The Shade est aussi une histoire d'amour, d'amour familial, fraternel donc, d'amour tout court qui, à force d'être vécu de manière divisible se brise, et d'amour de la tristesse car la tristesse est perçue non seulement comme une émotion négative, mais aussi parfois comme un moyen de soulagement émotionnel. Aristote et sa catharsis bref - Lorsque celle-ci n'est pas ressentie consciemment et traitée elle devient un traumatisme et dans le cas de Ryan, il n'y a plus rien pour réguler ses émotions plus destructrices comme la colère ou l'anxiété, donnant à The Shade sa dimension psychologique, terrifiante et dramatique.
Pour le côté horreur maintenant, Chipman et Purdy savent parfaitement comment créer une scène anxiogène qui provoque au spectateur un réel effroi ou malaise, ces émotions négatives et incontrôlables sont manifestées la plupart du temps par cette créature que les garçons voient - un secret familial, un démon, une simple image, l'explication noire sur blanc n'étant pas réellement nécessaire . Grâce à ce choix artistique de ne la montrer que brièvement sans jamais avoir recours au cliché du jumpscare par exemple, The Shade s'occroie sans grands efforts, juste par l'étude et la technique, une antagoniste réellement terrifiante qui sert parfaitement le propos du film.
On en vient à la fin de cette critique, alors certes, certains seront totalement rebutés par le choix de la fin qui manque de dramatisme, qui ne parvient pas à réellement atteindre un climax cathartique malgré avoir toutes les pièces posées pour, pour ma part The Shade est tout simplement trop généreux pour résumer cette critique à ce choix qui est propre à ces, ne l'oublions pas, débutants. Ceux-ci, débutants certes mais talentueux néanmoins, proposent un vrai petit hommage ciselé au thriller psychologique qui se mue parfois en drame familial crédible et émouvant. Fort d'une gueule et d'une bande son propre à lui, fort d'une performance du lead souvent crédible qui vit totalement le script, The Shade est un must-see pour les amateurs du genre, ceux pour qui l'horreur, bien que propice à l'invention qui malheureusement tombe généralement à plat, peut rester old-school et représenter simplement l'horreur que nous vivons et celle qui réside dans nos faiblesses et nos cicatrices les plus profondes.