The Social Network par cinematraque
La première scène du film nous introduit d’emblée au vrai sujet du film. Non pas les réseaux sociaux, ni Facebook, mais la vitesse, notre fascination pour celle-ci et la façon dont elle détruit les rapports sociaux, et pourquoi pas notre humanité. Mark Zuckerberg débite sa stratégie pour intégrer les clubs d’Harvard à sa craquante petite amie qui, elle, vient apparemment rompre avec lui. Elle l’écoute ; lui, en revanche, n’entend de ses propos que certaines informations, pour aussitôt embrayer sur un autre sujet (les clubs, donc). La logorrhée du personnage est ahurissante, et sa capacité à ne pas tenir compte de son amie, navrante. L’excellence des dialogues est, elle, bluffante : c’est Moderato Cantabile façon Howard Hawks.
A la vitesse des dialogues d’Aaron Sorkin, David Fincher répond par la sérénité de sa mise en scène, et l’attention portée à ses personnages. Face à un monde qui va de plus en plus vite, la retenue de Fincher est, en soi, un acte politique. Il le dira au Monde, la bataille qu’il aura menée auprès de Columbia était celle du temps. Dès lors, Fincher mène l’enquête sur le culte de la vitesse et de la modernité qui caractérise notre monde. Chaque scène est une pièce de plus au nouveau puzzle du réalisateur qui, à travers le portrait de Zuckerberg, dresse le tableau angoissant d’une société dont le système idéologique valorise la compétition, et qui, grâce à la technologie, rend celle-ci plus féroce encore, plus rapide, et plus inhumaine. The Social Network est une version grand public de la pensée de Paul Virilio qui, depuis plus de 20 ans, nous met en garde contre cette fascination, pouvant à ses yeux mettre en péril l’humanité. Internet et les réseaux sociaux nous ont fait entrer dans un monde où la vitesse a atteint un tel niveau qu’elle se donne l’illusion de l’immédiat.
Après s’être fait larguer, Mark Zuckerberg s’enivre de bières et d’algorithmes, pour épater la fac à coups de sites pirates misogynes et de hackings furtifs. Ainsi naît la structure de The FaceBook. Eduardo Saverin, le seul “ami” de Zuckerberg, travaille à faire connaître leur « truc cool » (au début, ce n’est rien de plus), mais trop attaché à l’ancien temps, celui du métro et de l’avion, il se fera bientôt éliminer par Sean Parker (créateur turbulent de Napster), qui montera une affaire pour le jeune prodige, avec un fond d’investissement. Après quelques rails de cocaïne, une ou deux fêtes, trois coups de téléphone et une dizaine de mails, tout ça sans bouger de la villa du jeune Marc, qu’il squatte sans gène. Entre les mains de Zuckerberg, Facebook est juste un truc cool avec le visage humain de Saverin. Rattrapé par la puissance du capitalisme, Facebook deviendra ce monstre qui échappe à son créateur.
Lorsque Sequoïa Capital (rebaptisé Case Equity dans le film : le point est à souligner, en qu’il révèle les vrais patrons de Facebook) entre dans l’équation, le machin cool devient un outil idéologique. Les fonds d’investissements, qui utilisent des universitaires spécialistes des mathématiques financières, transformant chaque crise financière en de nouvelles possibilités de profits, se servent également d’informaticiens de la haute bourgeoisie (n’ayant, eux, d’autre objectif que la jouissance de leur génie), pour en faire une mode, quelque chose d’inutile qui, pourtant, nous sera bientôt essentiel. Ainsi des machins « cools » comme the facebook ou napster deviennent-ils Facebook ou ITunes.
Internet et Facebook ne sont que des outils, que l’on peut contrôler à sa guise, à condition de savoir s’en servir. Tels qu’ils sont actuellement vendus actuellement, il sont des moyens d’uniformiser nos émotions, nos idées et notre vision du monde. Comme le dit Paul Virilio, « nous vivons une synchronisation de l’émotion, une mondialisation des affects. Au même moment, à l’échelle de la planète, on peut ressentir la même terreur, la même inquiétude pour l’avenir ou ressentir la même passion. C’est quand même incroyable. Ce qui me porte à croire que nous sommes passés de la standardisation des opinions – rendue possible grâce à la liberté de la presse – à la synchronisation des émotions. La communauté d’émotion domine désormais les communautés d’intérêt des classes sociales qui définissaient la gauche et la droite en politique, par exemple. Nos sociétés vivaient sur une communauté d’intérêt, elles vivent désormais un communisme des affects. » Le vrai monstre qui se cache derrière Facebook et l’internet, ce n’est pas Mark Zuckerberg, écrasé par ce qu’est devenu sa création, mais bien le capitalisme financier, son intérêt à contrôler les réseaux sociaux, l’internet, les flux d’images et d’informations, pour imposer le diktat de la vitesse effrénée, quitte à détruire l’humanité. Face à cette menace, il convient de se battre, pour conserver le contrôle du temps et des outils informatiques. C’est pourquoi The Social Network est une pierre, importante, pour nos prochaines barricades. Fincher a remporté sa bataille et nous offre une nouvelle fois, après Alien3, Seven, Fight Club et Zodiac, une oeuvre d’une grande richesse.