The Father avait marqué l’irruption du dramaturge Florent Zeller au cinéma, restituant la décrépitude d’un homme atteint par une démence progressive. The Son s’intéresse au mal-être d’un adolescent, venant s’installer chez son père après qu’il a refait sa vie avec une nouvelle famille.
Les principes sont donc identiques, et l’adaptation théâtrale est assumée : l’unité de lieu prévaut, les dialogues consistent l’essentiel du matériau narratif, et les comédiens, tous très bons (du moins pour les adultes) prennent plaisir à affûter leur interprétation.
Le problème, c’est que le récit semble avoir été écrit par le protagoniste tant il cumule les banalités et les facilités. Traiter un trauma on ne peut plus commun (papa nous a abandonnés, maman et moi) n’est pas en soi un problème, mais enfiler les clichés et les ressorts dramaturgiques avec un tel aplomb requiert de l’assurance – ou de l’aveuglement. Le parti pris est clairement celui de l’adolescent, dont la souffrance semble invisible et incompréhensible par son entourage, qui n’a apparemment pas les moyens de décrypter les signes pourtant gigantesques qui constellent son parcours.
Alors oui, papa est lui-même un fils (scoop) en relation toxique avec son propre père et, révélation issue de Bien être magazine, il se surprend à reproduire sur sa progéniture ce qu’il a détesté durant sa jeunesse.
Alors oui, belle-maman voudrait bien baiser sur le canapé quand papa revient du boulot (il bosse trop, elle arrête pas de lui dire mais lui n’entend rien), mais surprise, l’ado de 17 ans sort de sa chambre pour ENFIN demander un conseil à son père et établir un contact, et patatra, le trauma s’épaissit.
Alors oui, ado voudrait donner des signes d’intégration, mais maman a peur de lui et belle maman ne veut pas qu’il s’occupe de son bébé – pour sa décharge, un dépressif sans amis qui se scarifie n’est pas exactement le genre de candidat qu’on engagerait comme baby-sitter. Mais ado, ce con toujours dans les contre-champs à révéler sa présence, a entendu ces réserves, et patatra.
Alors oui, on était bien dans le passé quand papa était encore avec maman et qu’il m’apprenait à nager en Corse, et on le reverra régulièrement pour expliquer qu’aujourd’hui, fini le soleil et la mer, bonjour la grisaille et le huis-clos carcéral, ce qui quand même alimente bien le patatra.
Cette somme de patatras laisse songeur au point qu’on finit par se demander si les parents ne méritent pas ce qui leur arrive. On imagine sans difficulté la déposition lunaire à la police après le suicide du gamin, qui se résumerait ainsi :
Donc, ado voulait à tout prix sortir d’HP après sa TS, les médecins nous ont supplié de ne pas le faire parce qu’il était en danger. Mais il a insisté parce que vraiment c’est horrible là-bas, et on a un cœur, vous comprenez. Alors on l’a ramené à l’appart dans lequel papa laisse DEPUIS LE DEBUT un flingue offert par son propre père scotché derrière la machine à laver. Il a dit qu’il voulait prendre une douche, et avant de la prendre, a fait un discours d’adieu (je vous aime, pardon, blabla) qui AURAIT pu nous mettre la puce à l’oreille si on était un peu moins abrutis, mais que voulez-vous, l’amour rend aveugle, et aussi sourd apparemment.
En réalité, les personnages sont moins abrutis que l’auteur n’est sadique, prenant un malin plaisir à faire durer la douche du fils pour aller arracher un frisson de la part du spectateur, avant de lui délivrer un épilogue en forme d’apothéose, où l’on fantasme un happy end à la résilience douteuse avant, surprise, de constater que TOUT CECI N’ÉTAIT QU’UN REVE.
Et patatra. Heureusement qu’il reste les souvenirs de la Corse.