Après avoir exploré la maladie d'alzheimer avec The Father, Florian Zeller continue dans les adaptations de ses pièces de théâtre avec The Son et le thème de la dépression d'autant plus violent de l'adolescence, de l'incommunicabilité et des traumatismes familiaux pour cet amour inconditionnel au père.
En suivant le retrait au monde de Nicholas (Zen McGrath) par ses multiples fuites en avant et sa gestuelle flottante, le dramaturge filme la perte des repères par le regard extérieur de son père Peter (Hugh Jackman) et un portrait plutôt inattendu pour Nicholas, d'autant plus absent par le parti-pris narratif, comme étranger à sa propre histoire. Peter qui aura quitté femme et enfant, pour réinventer sa vie, installé socialement, nouvellement marié avec Beth (Vanessa Kirby) et démissionnaire d'un fils qu'il imagine tout aussi ancré dans le réel qu'il pense l'être. La complicité lumineuse père/fils de l'affiche, laisse place à cet étrange inconnu que l'on rangera dans le passage obligé des crises adolescentes, en attendant que ça passe, pour mieux en évacuer une gestion délicate. Sa rencontre avec son propre père (un rapide clin d'œil d'A.Hopkins) souligne la transmission toxique et les grands sentiments avortés et boucle la boucle. Les tentatives de Peter à aider son fils, tout en minimisant la situation, n'auront pour effet que des échecs successifs.
Ce père, ce héros déchu, devient alors l'élément perturbateur mais révélateur du mal-être adolescent et d'un passage à l'âge adulte trop lourd à porter pour ce jeune homme à la sensibilité exacerbée. Tout comme la mère Kate (Laura Dern) abandonnée et dévastée, inquiète du comportement de leur fils, sera laissée sur le pas de la porte. Cette courte scène introduit son éviction et son illégitimité par l'intrusion silencieuse et pesante de Beth à leur échange intime, pour continuer par ses réactions incontrôlées qui en deviendront nocives pour Nicholas. Zeller dénonce l'ensemble du cocon familial, ici recomposé, apte à balayer les scories extérieurs. Une sorte de huis clos élargi qui va aussi pointer les responsabilités sociétales par les institutions, défaillantes ou pas, de bonne volonté ou non. A l'instar des soignants de The Father, ce sont ici les soins médicaux qui ne feront que creuser le fossé, l'école qui n'insistera pas sur les absences et les activités professionnelles, pour l'aveuglement parental. Nicholas pourtant aimé restera alors en filigrane tout du long comme pour en conforter l'idée, subissant une crise existentielle silencieuse et une démission radicale à ce qui l'entoure par la force des choses.
Bien plus classique The Son s'exonère des envolées fantasmatiques du premier opus à rendre le décalage de la maladie mentale, mais en propose quelques scènes floutées qui renforce l'absence, à l'image de cette danse en famille où la place de Nicholas sera encore questionnée et pointe d'un seul regard une souffrance insondable, son personnage presque coupé à l'écran, prêt à disparaître laissant la place aux vivants qui l'ont déjà oublié. En détournant son sujet Zeller nous le rend d'autant plus malaisant et vient nous surprendre par la force inattendue et d'émotion à fleur de peau tant il convoque une réalité et un déni des proches qui ne peuvent s'imaginer l'impensable.
S'attachant au plus près de ses personnages et de leurs failles pour une performance remarquée de Hugh Jackman qui continue l'exploration de rôles dramatiques et ici, inconfortable et Laura Dern toujours parfaite, capte la caméra en quelques scènes. Si on regrette son peu de présence ce sera pour mieux disparaître elle aussi de ce monde d'hommes qui ne s'encombre pas des faiblesses émotionnelles, comme inexistante au drame qui s'est joué.
On pourra alors juger la scène finale accessoire, voire poussive et sans atteindre pleinement la finesse et la créativité de son premier jet, Florian Zeller reste un auteur à suivre.