Prenant place dans un musée d’art contemporain aux installations aussi improbables qu’iconiques, The Square s’avère bien vite être autant une satire du milieu artistique d’aujourd’hui que de toute la société suédoise, avec ses idéaux et ses contradictions. Bien confortablement lové dans son quotidien de petit bourgeois, Christian fait face, pour la première fois de sa vie, à un milieu populaire qu’il aimerait défendre dans son travail mais qu’il ne connaît absolument pas. Et c’est la même chose pour les autres personnages, succulents jeunes bobos suédois, qui affrontent les désillusions de l’existence. Le film n’est cependant pas misanthrope, au contraire, on le trouvera quelques fois plutôt touchant, d’abord parce que l’acteur principal (Claes Bang) a une bouille de gentil nounours, mais aussi parce qu’il ne se départit pas d’une certaine empathie pour ses personnages, poussant le spectateur à les comprendre. En filmant les petits ratés de l’existence, l’ennui en réunion ou encore les discussions intimes, Ruben Ostlund ne se contente pas de moqueries mais crée l’identification et le doux malaise, parfois un peu mélancolique. Si aucun personnage n’est épargné, on constate qu’il n’y a pas non plus de boucs émissaires. Le scénario se repose davantage sur les divergences de points de vue, l’incompréhension de l’autre, la faiblesse inhérente à l’être humain ou encore l’échec de bonnes intentions.
The Square est une satire relativement gentille, voir même tendre, à l’exception d’une scène particulièrement grinçante qui est sans aucun doute la meilleure scène qu’a pu nous présenter la 70ème édition du Festival de Cannes. Solo de guitare électrique dans un morceau de rock, elle apparaît comme étant le point culminant et l’équilibre de toute l’œuvre, donnant enfin le coup de poignard tant attendu. The Square est donc, malgré ses 142 minutes, relativement bien orchestré, malgré une ou deux scènes qui n’ennuient pas mais dont la suppression aurait permis plus de rigueur au film. Au-delà de la qualité des dialogues et du scénario, de certains gags qui font mouche, comme le nettoyage risible d’une installation artistique improbable (applaudi dans le Grand Théâtre Lumière), on assiste également à un remarquable travail d’esthétique et de mise en scène. Porté par une volonté d’inventivité et une certaine ambition, le film propose quelques scènes qui, par leur disposition, flirtent avec le langage visuel de l’épouvante ou du drame, pour un ensemble riche. On notera le nom du directeur de la photographie (Fredrik Wenzel) ainsi que la qualité des cadres.
Extrait de The Square de Ruben Ostlund (2017)
La richesse est aussi thématique. S’il prend place dans un musée, conférant un point de vue assez original puisque le regard du réalisateur sur ses personnages rappelle parfois le regard de ses personnages sur les œuvres qui peuplent le lieu, The Square n’hésite pas à traiter d’autres choses que le simple univers artistique. Avec le jeu de séduction d’une journaliste, il aborde la place de l’autre dans les relations sexuelles actuelles, à travers le bad buzz d’une campagne publicitaire, il questionne sur les limites de la décence… Le microcosme du musée permet un large panel des petites gênes qui gangrènent une société suédoise souvent fantasmée à l’international. Mais ce qui étonne le plus et fait de The Square une satire aussi originale est la façon presque émouvante dont la question de l’individualisme, du rapport à l’autre et des classes sociales est traitée.
Succulente satire à hauteur d’Homme, The Square se différencie des autres œuvres de son genre par le regard fin et presque tendre que pose son réalisateur sur ses personnages. C’est aussi un film qui ose, qui tente et va jusqu’au bout, comme en atteste l’horrible et géniale scène d’une performance artistique transformée en fiasco moral – mais même pas moralisateur. Une réussite qui n’a finalement pas tant volé sa Palme d’or.