Après avoir secoué la Croisette lors du dernier festival de Cannes, Grave avait ébranlé Toronto, puis l’Etrange Festival, où on avait découvert ce premier long-métrage de Julia Ducournau. Plusieurs mois avant sa sortie, son succès était déjà annoncé et le film, encensé. Il faut dire que Grave tape fort pour marquer les esprits – et même parfois un peu trop, les ficelles du film restant pour la plupart des temps bien visibles et le choc trop orchestré pour être honnête. Mais qu’importe, même le spectateur averti peut adhérer, par sa nature, à cette déferlante de viande humaine, de sang animal et d’amputations un peu sales. De ce fait, c’est un film qui fonctionne, le rire jaune, l’humour noir, passant généralement au delà du potentiel agacement.


Mais point de torture porn ou d’horreur uniquement gore pour cette réalisatrice diplômée de la Fémis, qui soigne et sert avant tout ses personnages. Notre anti-héroïne, Justine, s’avère très vite insupportable pour notre plus grand plaisir, petite fille modèle entourée de deux parents aimants et d’une grande sœur de rêve, égoïste et parfois niaise, elle devient sympathique par ses défauts, tout comme le campus calme devient un enfer à ses yeux. Grave est un film d’intérieur, celui d’une école de vétérinaire, à la violence feinte dans le but d’effrayer et humilier les plus jeunes, et celui d’une adolescente directement confrontée aux pulsions de son corps en même temps que ses premières expériences. L’adieu définitif à l’enfance et surtout à l’innocence ne se fait pas tellement par le biais des découvertes liées à une sexualité ordinaire, qui engendre en Justine des réactions banales de jeune fille encore un peu trop sensible, mais par la découverte de ses envies, de ses désirs insatiables qui questionnent sa nature et remettent en question sa personnalité première. Désormais détentrice d’une force trop grande pour elle, la victime devient le danger et, étrangère à elle-même, s’en inquiète.


Autour de Justine, gravitent sa sœur et son colocataire, la mentor comme l’ami, initiateurs avec toute la maladresse (voir l’égoïsme) possible. Sous les titres de presse un peu exagérateurs (soyons sérieux : comme nous l’avons mentionné au dessus, les scènes gores sont limitées et suffisamment annoncées pour qu’on puisse fermer les yeux à temps), Grave n’est pas seulement un film d’horreur mais aussi et surtout un teen-movie, ou encore bien campus movie. Il qui contient, sous son enveloppe horrifico-élégante, toutes les conventions de l’âge de ses personnages, y compris les plus ingrates. L’oeuvre virvole tantôt dans les conventions de l’adolescence puisque son héroïne surdouée n’a que 16 ans, et celles d’un âge un peu supérieur, où les normes sexuelles sont différentes et bien plus assumées, comme semble le vivre sa sœur (ainsi que son rapport au cannibalisme). Mais Julia Ducournau n’applique pas seulement une mise en scène, par ailleurs relativement épurée, du cannibalisme mêlée à une chronique adolescente. Elle s’autorise et parvient à ajouter une verve surprenante, une impertinence qui, grâce à son inconventionnalité, sert également le naturalisme recherchée de l’œuvre. Si la Justine de son court-métrage Junior change avoir changée, elle n’est pas pour autant épargné de défauts, tout comme Ducournau n’épargne pas son film des petites saletés du quotidien et observe avec une tendre ironie les rapports sociaux des jeunes plus tout à fait adolescents, pas encore adultes, comme les joyeux tréfonds de la nature humaine.


Calibré avec soin, Grave semble surtout être acclamé pour son audace, ce qu’on ne peut qu’approuver. A la fois tendre, délicat, cru et impertinent, il séduit par le traitement à la fois naturaliste et soigné de son idée. Son seul défaut aura été d’être vendu comme le chef d’oeuvre qu’il n’est pas mais si ce n’est pas un renouveau absolu du film d’horreur, il reste un souffle léger mais dévastateur sur le confort poussiéreux du genre français. On annonce un must de 2017, on note le noms des acteurs et on attend déjà avec impatience le prochain film de Julia Ducournau.

mnfrankenstein
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le 12 janv. 2018

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