Alors qu’il tente de rejoindre la Hongrie, Aryan, un jeune migrant syrien est abattu par un policier. Il survit miraculeusement et s’envole, défiant toute gravité. Lorsque le Docteur Stern, un médecin corrompu, qui mène affaires en proposant son aide contre une large somme d’argent s’aperçoit de ce miracle, il décide de prendre le jeune homme sous son aile, le considérant comme la poule aux œufs d’or.
Le cinéma a la capacité, par l’identification à un personnage et à des effets visuels et sonores, de provoquer des réactions physiques chez ses spectateur, modifiant alors quelque fois leur perception de l’espace. Ainsi, la scène d’ouverture de Jupiter’s Moon en ravira plus d’un, construite à l’aide de gros effets, claustrophobie, épuisement et, enfin, apesanteur. Au-delà de l’expérience sensorielle, on retiendra aussi l’expérience esthétique, la beauté visuelle étant globalement liée à l’émerveillement face au tourbillon de sensations vertigineuses proposées dans un écrin soigné. Il est indéniable que Jupiter’s Moon est un film plastiquement agréable ou même, n’ayant pas peur des mots, brillant. Ce splendide démarrage permet également une approche empathique du personnage d’Aryan, par un incroyable partage des sens.
Quand ce ne sont pas les sensations du spectateur qui sont extorquées, c’est la réalisation qui impressionne. C’est d’abord un défi technique, à grand coup de (vrais ou faux) plans séquences mais contrairement à certaines de ces contemporains qui en abusent pour un challenge sans âme, Mundruczo brille par la pertinence de ses choix. On retiendra également une photographie marquée qui signe en partie l’identité du film, avec une discrète exubérance de machine à fumée, contrastes et froids et chauds saturés. Quand elle n’évoque pas les taudis d’une ville américaine des années 50 ou le cadre inhospitalité d’une fiction post-apocalyptique, la Hongrie devient directement un enfer, si ce n’est pas même l’Enfer. La critique, qui passe la majeure partie du temps par le cynisme de ses personnages, est aussi fine que féroce. En assumant la proposition d’un film assurément néo-noir, Konél Mundruczo délaisse cependant bien vite son migrant pour se concentrer sur son médecin, archétype du ripou, alcoolique de surcroit, envers lequel on ne nourrit – et c’est bien là le but, pas de grands égards. Mais ce point de vue, aussi bien senti soit-il, n’amène aucune variation pour autant autour de son anti-héros. C’est d’autant dommage que si la caméra ne se lasse pas d’admirer son second personnage migrant, elle s’enferme rapidement dans une image christique aux objectifs flous. Jupiter’s Moon est une œuvre fortement engagée, mais une fois le travail de sensibilisation effectué, il est difficile de palper la véritable matière du film. Le caractère social formait un puissant background, éthiquement et humainement nécessaire mais il semble petit à petit délaissé, au profit d’un mystique. Les deux n’étaient pourtant pas incompatibles et faisaient justement la force de l’œuvre – dommage qu’un flou global prenne le dessus. On ne saura se prononcer : Jupiter’s Moon en fait-il trop, creusant un vide en son propre sein, ou n’a, au contraire, pas eu le temps de suffisamment développer ses idées. S’il s’agit d’un formidable objet d’étude pour les qualités plastiques d’une œuvre cinématographique, qui propose aussi quelque chose d’intéressant dans son genre et son engagement, Jupiter’s Moon aurait cependant bénéficié d’un rythme un brin plus vigoureux, pour un film un peu plus condensé ou, au contraire, une œuvre plus longue, plus détaillée, pour justifier le pourquoi de son mysticisme divin mais pas religieux, au-delà d’une demande de sympathie humaine envers ceux qui viennent demander refuge. On notera qu’il peut éventuellement être accusé d’être pompeux mais évite sans cesse le kitsch, qui aurait été un potentiel danger pour ses caractéristiques.
Jupiter’s Moon est une œuvre résolument originale qui a sans doute divisée lors de sa projection presse (partagée entre huée et applaudissements – on ne refera donc jamais les réactions de ce public). Si elle perd en intensité au fil de son déroulement, elle possède une identité et une force que peu d’autres films présentés peuvent se vanter de contenir et propose une expérience intéressante. Un haut de panier en ce début de festival.