L’immersion dans le récit labyrinthique de The Stranger se fait par la couleur : un noir qui frappe et noie ses protagonistes, les paysages et les enjeux ; une suffocation renforcée par une atmosphère pesante, dans laquelle la lenteur prendra ses quartiers et imposera une déliquescence en osmose avec la destinée des personnages.
Le film l’annonce donc clairement : il privilégiera longuement l’ambiance aux enjeux, et le rythme aura surtout pour but d’enfreindre les attendus d’une enquête qui patine, se disloque dans une narration non linéaire et explore la descente d’un flic infiltré dans les abysses du mal.
Car tout ce qui se joue à l’écran relève du mensonge : celui d’un homme ayant refait sa vie pour, probablement, cacher d’anciens crimes, comme celui de son comparse qui l’intègre dans un groupe mafieux, gigantesque construction visant à récolter ses aveux. Cette mise en scène établit une surface mouvante, alliée à des personnages taiseux qui savent, chacun de leur côté, que le silence est un allié et que la confiance de l’autre ne s’obtiendra que sur le long cours.
Si Thomas M. Wright, dont c’est ici le premier long métrage, a tendance à exagérer certains de ses effets (durée excessive des plans, musique d’ambiance un peu trop surlignée, recours trop facile à des séquences de cauchemars pour relancer l’attention du spectateur), on ne peut que reconnaitre son talent pour sonder la présence magnétique de ses protagonistes. Sa caméra scrute et sculpte les visages des très impressionnants Sean Harris et Joel Edgerton : le premier qui sort progressivement de sa coquille et passe de marginal à bête aux abois, tandis que le second, en flic malade, tente de rester à la surface, dans son enquête comme dans une vie privée où il peine aussi à un être un père exemplaire.
Ce jeu consistant à liquéfier le mécanisme de l’enquête fonctionne ainsi sur plusieurs niveaux : dans la difficulté à obtenir la confiance du suspect, mais aussi dans les séquences insistant sur le protocole et la nécessité absolue de bâtir un dossier solide, poussant toujours les policiers à multiplier les situations, les rôles et les stratégies, à la manière de scénaristes se débattant avec une intrigue bancale. Et si la fin tend à user de la mise en scène comme d’un substitut à une résolution véritablement éclatante, ce n’est pas tant pour palier la frustration du spectateur que pour le laisser stagner au fond du gouffre. La montagne, motif récurrent et hypnotique, est certes atteinte, mais il ne s’agit pas de faire du terme de cette exploration du mal un retour à la surface.