Cela fait un peu plus d'une quinzaine d'années que le cinéma coréen connait une effervescence sur la scène mondiale. Park Chan-wook, Bong Joon-ho, Na Hong-jin, Kim Jee-won, entre autres, ont réussi à redonner un second souffle à un genre qui avait déjà des codes bien établis: le thriller. La touche coréenne a réussi à en étonner plus d'un avec son approche originale et diablement efficace: des histoires noires, parfois glauques avec des personnages souvent couards et maladroits (notamment les policiers), finalement très humains. Souvent filmée dans des coins reculés de Corée du sud, des campagnes atypiques parfois crasseuses mais avec un charme incontestable, l'action donnait l'impression d'être enfermée dans un espace coupé du temps, rendant l'atmosphère très étouffante. Cette formule, beaucoup de ces réalisateurs ont réussi à la suivre fidèlement pendant plusieurs années, sans jamais oser briser la barrière du réel. C'est sans compter sur Na Hong-jin (The Chaser, The Murderer) qui, avec The Strangers, s'attaque au thriller fantastique/horrifique.
Gok-Seong est un petit village de montagne bien tranquille jusqu'au jour où une épidémie se répand dans le village, certaines personnes sont soudainement pris de fièvre, pustules et rougeurs apparaissent sur leur corps, et se mettent à attaquer violemment leur famille. Ses meurtres atroces vont alors sortir Jong-hoo (Kwak Do-won), policier rondouillard et peinard, de sa petite vie tranquille. Alors que les soupçons se tournent vers des champignons vénéneux, Jong-hoo écoute les rumeurs circulant dans le village faisant mention d'un étranger et ermite vivant dans les montagnes: le Japonais (Jun Kunimura). Celui-ci ne serait pas réellement vivant, mais un fantôme qui traque la moindre personne croisant son chemin. Information confirmée par une mystérieuse jeune femme (Cheon Woo-hee) rôdant sans but précis dans le village et près des lieux des drames .Le doute va s'estomper petit à petit jusqu'à laisser place à la certitude lorsque la fille de Jong-hoo, Hyo-Jin, est frappée par la fièvre. C'est cette fixation qui va amener le policier à se confronter au Japonais, faisant fi des lois et droits de chacun. La première véritable conversation entre les deux hommes amène d'ailleurs une scène explosive et hallucinante où Jong-hoo hausse le ton et profère insultes et menaces contre le Japonais, froid et impassible, le regard vitreux et écoutant d'une oreille la traduction sortant de la voix tremblante du diacre accompagnant le policier dans son enquête. Clairement l'une des scènes fortes du film qui amène ensuite une tension qui ne descendra jamais d'un cran. On n'avait déjà pu avoir un aperçu de l'incroyable présence de Jun Kunimura dans ses rôles de Yakuza (Outrage, Why don't you play in hell?) et son incroyable speech dans le film de Sion Sono, il est encore plus effrayant quand il reste silencieux.
Désespéré par l'état de sa fille et ne sachant plus vers qui se tourner, Jong-hoo accepte la proposition de sa belle-mère et fait entrer Il-gwang, un chaman vénal, dans sa demeure afin d'exorciser sa fille. Interprété par Hwang Jeong-min, remarquable dans son rôle, comme possédé. Il avait déjà eu l'occasion de me surprendre dans New World, il m'achève complètement pendant le rituel, dansant et poussant des cris énergiques. Epatant tout simplement, l'un des personnages forts du film avec le Japonais. C'est à partir de là que le scénario va commencer à nous prendre à contre pied à de multiples reprises, une histoire déjà étrange qui va définitivement basculer dans le surnaturel, les croyances de chacun mises à rude épreuve. Entouré de personnages plus ou moins louches, la paranoia de Jong-hoo le tourmente jusqu'à un final étouffant et typiquement coréen, laissant la liberté à chacun d'interpréter les choses.
Du casting aux décors, en passant par le scénario, Na Hong-jin fait un quasi sans faute, confirme son statut de réalisateur incontournable et me cloue sur place avec The Strangers. On sent qu'il a peaufiné les choses dans les moindres détails, jusqu'aux plans et choix du village où l'action prend place: campagne un peu crasseuse, maisons délabrées, vieux murets de pierres grises… Mais d'un charme inexplicable, des couleurs ternes mais entourées de montagnes et de forêts verdoyantes. Ce contraste et la pluie qui ne cesse de s'abattre sur cette petite bourgade la rendent inquiétante et attirante à la fois. On jongle une nouvelle fois entre les rires et la peur. Les policiers sont de nouveau complètement paumés, les coréens ont également une façon de s'exprimer très personnelle qui aura toujours le don de m'arracher un sourire quoi qu'il arrive. Et pourtant à la fin, on en ressort toujours dans le même état: blanc comme un linge. Cette vague coréenne n'aura de cesse de me surprendre année après année, on souhaiterait presque que ça ne s'arrête jamais. Mais une chose est sûre, on n'a pas fini de rencontrer le diable…