Dans le calme de la campagne sud-coréenne, une drôle de présence commence à se faire sentir. Une odeur de mort se met à planer dans l’air, les esprits s’égarent et s’échauffent, et le chaos commence à semer la zizanie. Mais qui sont ces « strangers », ces étrangers ?
Troisième long-métrage pour Na Hong-jin, après le très réussi The Chaser, et le convaincant The Murderer. Ces deux polars/thrillers s’inscrivaient dans une certaine continuité, en mettant en lumière des personnages marginaux dans un univers anxiogène, en restant tout de même dans une certaine lignée des thrillers sud-coréens modernes, lancée par des films comme Memories of Murder. Et le début de The Strangers nous fait penser que Na Hong-jin va poursuivre sur la route qui a fait jusqu’ici son succès, mais le proverbe « jamais deux sans trois » ne sera ici pas de rigueur. Le cinéaste prend ici la tangente pour explorer de nouveaux genres, avec de surprenantes associations et d’étonnants partis pris. J’ai souvent tendance à parler de mélange des genres en parlant de films sud-coréens, et ce au risque de me répéter, car les cinéastes du pays du matin calme ont une faculté toute particulière à opérer des mélanges séduisants et audacieux. Et il faut dire qu’avec The Strangers, Na Hong-jin multiplie les mélanges.
L’enquête constitue la base du récit, construisant un fil rouge qui permet à Na Hong-jin d’installer ses thématiques habituelles et de ne pas désorienter le spectateur connaisseur de ses films. Le personnage principal, policier peu dégourdi, assez antipathique, incarne cette police toujours aussi inefficace et apathique, déjà présente dans ses précédents films. En faisant de son personnage tout sauf un héros, le cinéaste nous invite à focaliser notre attention vers d’autres éléments. The Strangers est un film qui vient défier les croyances, venant invoquer le fantastique pour apporter une dimension surnaturelle au récit, se désolidarisant peu à peu d’une réalité tangible et rationnelle, transformant cette campagne ordinaire et sans histoire en un théâtre d’affrontement entre forces occultes.
Bien que surprenant, le parti pris dans The Strangers est finalement assez logique au vu des deux précédents films. Le héros de The Chaser était comme une sorte d’ange déchu et vengeur venant combattre un démon destructeur, quand celui de The Murderer semblait venir d’un purgatoire, cherchant à s’élever vers un monde meilleur. Il y a donc, quelque part, toujours la possibilité d’avoir une lecture assez biblique ou mythologique des films de Na Hong-jin, et The Strangers ne se contente plus de sous-entendus, en invoquant directement des forces occultes. Le film capitalise principalement sur les faux-semblants et l’ambiguïté des personnages, le Japonais et le chaman en tête, pour susciter le doute du spectateur, déjà nourri par les étranges rituels et manifestations surnaturelles. C’est comme un Dédale dont on cherche désespérément la sortie, en sachant pertinemment que l’Enfer est au bout, comme en témoigne le film en termes d’imagerie et de mise en scène, en utilisant d’abord des éléments ayant plus attrait au polar et au thriller, pour dériver vers l’horreur et le fantastique.
Ce qui fait la grande force de The Strangers, c’est cette capacité à mélanger et à associer plusieurs genres, tout en s’appropriant les codes de chacun afin d’en tirer le meilleur parti. La mise en scène de Na Hong-jin est particulièrement soignée, qu’il s’agisse des plans en extérieur que des décors de rituels, créant une ambiance des plus captivantes et envoûtantes. La distribution est également au rendez-vous, le cinéaste s’octroyant notamment les services de Hwang Jeong-min (A Bittersweet Life, Battleship Island, The Spy Gone North) dans le rôle du chaman. The Strangers est un film jusquauboutiste, qui ne se fixe pas de limites, poussant à bout ses personnages et le spectateur. Un sort diabolique, qui mérite, sans doute, plus d’un visionnage pour en comprendre toutes les facettes.