Remarqué grâce à son fulgurant The Chaser, le metteur en scène Na Hong-Jin revient aux affaires, six ans après son second long-métrage, The Murderer. Sélectionné au festival de Cannes hors compétition après avoir vu sa sortie repoussée, The Strangers (alias Gok-seong en Corée du Sud, alias The Wailing à l'international) aura tout de même demandé prêt de trois ans d'écriture.
Le temps nécessaire à son auteur pour s'imprégner d'un univers qu'il connait peu, voir pas du tout, et d'aboutir à une intrigue solide aux multiples niveaux de lecture, résultat de longues recherches à travers l'Asie à la rencontre de chamanes et de diverses cultures et croyances. Autant dire que Na Hong-Jin a bien fait ses devoirs, The Strangers bénéficiant tout du long d'un réalisme, d'une crédibilité essentielle à la bonne réception d'un long-métrage aussi ambitieux que casse-gueule.
Si The Strangers débute sur un canevas familier des amateurs de cinéma sud-coréen, alignant les poncifs à base de meurtres sanglants et de police campagnarde forcément dépassée par les événements, le troisième essai de Na Hong-Jin va rapidement dévoiler son incroyable richesse à la fois thématique, formelle et narrative. Sur plus de 2h30, le récit va passer par tous les genres, par tous les tons, voguant sans cesse entre polar, drame, fantastique et comédie noire, sans que tout cela ne paraisse artificiel ou branlant.
Maîtrisant aussi bien son sujet que son rythme (à quelques longueurs prêt), esquissant des personnages terriblement attachants par leurs failles béantes, Na Hong-Jin nous propose alors une virée en enfer tout simplement tétanisante, stressante à vous bouffer les pouces des deux mains, distillant miraculeusement une atmosphère crépusculaire et pesante, nous confrontant au mal à l'état pur, celui contre quoi l'on ne peux décidément pas lutter car enfoui au plus profond de nous-mêmes.
Sans jamais forcer, ne cherchant jamais à en mettre plein les yeux aux spectateurs, Na Hong-Jin offre un cadre magnifique à son histoire, couche sur la pellicule des images plus d'une fois marquantes, nous poussant sans cesse dans nos derniers retranchements, jouant magistralement avec nos attentes et interrogeant nos convictions jusqu'à un final tout simplement ahurissant, voire carrément traumatisant pour votre serviteur qui ne croit pourtant pas une seconde à ces conneries.
On ne pourra que saluer le talent indéniable des comédiens, tous parfaits, qu'il s'agisse de Kwak Do-Won, touchant en flic benêt prêt à tout pour comprendre ce qui arrive à sa fille (épatante Kim Hwan-Hee), ou de Jun Kunimura, immense comédien aperçu chez Sono Sion, Ridley Scott ou John Woo, trouvant ici un rôle marquant, à la fois mystérieux, charismatique et indéniablement flippant.
Assumant pleinement l'aspect surnaturel de son intrigue tout en laissant le champ libre à de nombreuses interprétations, Na Hong-Jin signe une fois de plus une oeuvre forte et percutante, complètement folle, en constant équilibre entre drame, horreur et humour noir. Définitivement un des cinéastes les plus intéressants du moment.