Idée maline que d’avoir sélectionné The Substance en compétition à Cannes : on ne pouvait rêver plus bel écrin pour ce film, écrit et réalisé pour l’impact qui aura sur les spectateurs, et la manière dont ils relaieront sa supposée audace. Julia Ducournau, consacrée en 2021 avec Titane, en savait quelque chose.


Coralie Fargeat, déjà remarquée pour sa maitrise en termes de mise en scène dans Revenge en 2018, sait très précisément comment électriser son audience. La direction artistique est ouvragée à l’extrême, en écho au vernis glamour du monde de la télévision qu’elle va investir. Coloré, pop, fun, superbement cadré, monté au cordeau, aucune compétence ne manque à l’appel. Avant l’implosion, soigner la coquille. Rapidement, la machine s’enraye et les outrances s’imposent : des gros plans ou grands angles lorgnant vers l’obscénité, un mixage excessif du sound design, un montage qui s’emballe, préfiguration des monstruosités organiques à venir.

Il faut voir The Substance dans une salle pleine, probablement aux USA, pour comprendre à qui il s’adresse et ce qu’il cherche à provoquer. Car la cohabitation entre l’habillage classieux et la démesure en gradation constante à tout d’un rollercoaster. La dilatation du récit (la scène du départ sans cesse reporté devant le miroir), la redondance des motifs et la durée excessive du film (2h20) participent à cette idée d’épuisement, en écho direct à celui des figures et des corps en voie d’autodestruction.


Bien entendu, cette relecture pop du Portrait de Dorian Gray vaut surtout pour l’audace avec laquelle Demi Moore s’y dévoue. La star aborde frontalement la question du vieillissement, qui hante la cinéaste, elle-même à l’aube de la fatidique cinquantaine proscrite par l’usine à rêves. On saluera cet exercice aussi cruel que salvateur, doublé par la manière dont son alter égo jeune et désirable, Margaret Qualley va liquéfier sa beauté sous les excroissances du body horror.


Quand il s’agit de convoquer des effets visuels à l’ancienne (les fameux et très à la mode « practical », en opposition à la CGI) et l’artisanat d’un Cronenberg, ou la gradation vers l’explosion cathartique d’un De Palma dans Carrie, Coralie Fargeat atteste d’un savoir faire indéniable. Si l’on s’en tient à cette partition fun et grand guignol, le film nous offre incontestablement de la belle ouvrage. On regrette simplement que tout ce déploiement se fasse au service d’un propos aussi convenu, et qui ne va finalement pas bien plus loin qu’Oscar Wilde ou Sunset Boulevard : l’époque et son lot de bouleversements, de revendications et d’évolutions pouvaient générer un discours plus retors et complexe, où les mutations ne se limiteraient pas à celle des chairs suppliciées.


(6.5/10)

Sergent_Pepper
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le 6 nov. 2024

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