Elisabeth Sparkle (Demi Moore) ne fait plus rêver. Son corps se fissure un peu plus chaque jour sur Hollywood Boulevard. Une étoile sur le Walk of Fame qui ressemble désormais aux scènes fanées d'un vieux film. Avec pour actrice une ancienne star du fitness, aux courbes qui ne scintillent déjà plus. Soumise au dur regard masculin, à l'impitoyable temps qui passe et efface les éclats d'une gloire passée. À travers ce reflet, son corps nu qu'elle regarde et qui s'éloigne, emporté par le vent des saisons.


Autrefois divine, une beauté mature qui veut encore plaire, rester jeune, refusant de céder sa place quand vient cette brise cruelle qui abîme la chair.


Elle n'entend plus à présent que les blagues bien grasses, aux mains dégoûtantes de Harvey (Dennis Quaid), son patron cupide et égocentrique. Magnat de la télévision, qui lui annonce que le show est fini, trop vieille. Pour adieu, il décide de lui offrir un livre de recettes pour grand-mère. Charmant.


Dans un décor minimaliste, qui mélange réalisations colorées des années 80 et celles des années 2000, The Substance offre une esthétique bien pensée. Demi Moore est parfaite dans ce rôle d'Elisabeth Sparkle, artificiel et plastique. Elle nous livre ses formes en image, face à ce miroir, autre personnage principal de ce film, qui symbolisent à la fois la réflexion, la confrontation, et bientôt la destruction, lorsque la haine surgit. Accompagnée de la promesse et la tentation d'une substance.


Une question actuelle, de plus en plus présente de nos jours, comme en témoignent quotidiennement les réseaux sociaux, où les femmes s'adonnent à des recherches malsaines, dans une quête obsessionnelle et destructrice de la beauté.


Mais qu'importe, Elisabeth Sparkle veut être rayonnante pour le monde. Sa détresse n'a plus de limites. Prête à tout pour une meilleure version d'elle-même. Deux personnes qui n'en font qu'une, c'est la clé de l'équilibre.


La substance et sa prolifération cellulaire pénètrent son être, criant à l'agonie la naissance de la belle, lui déchirant le corps, tel un pacte avec le diable. Le système est engagé, plus rien ne peut l'arrêter. Les dangers du culte de la perfection ne perdent pas de temps avec l'arrivée de Sue (Margaret Qualley), une superbe jeune fille qui deviendra la nouvelle sensation du programme. Pendant que l'une perd connaissance, l'autre brille de mille feux.


Margaret Qualley, dans une solide performance, devient cette jeune lolita superficielle et égoïste, au sourire moqueur. Sexy à en réveiller les morts. Une caméra et ses projecteurs fixés sur son body, sur un son électro qui ne s'éteint plus, qui explose les compteurs, tandis qu'Elisabeth se consume. L'impression d'un arbre seul qui se meurt, se décompose, vidé de sa substance, cachée dans cette chambre obscure. Elle en pire, mais essentielle à sa survie, qui la dégoûte. Une étrange sculpture qu'elle cherche à détruire, pleine de feuilles grises et de branches qui craquent, comme un paysage figé dans une nature morbide. Enracinée dans le sol, au cœur de cette douleur désespérée, émerge une bizarrerie humaine.


L'envie est trop forte, la flamme est vorace. L'horreur et le monstre qui poussent afin que Sue continue d'être éclatante. Mais jusqu'où ira-t-elle pour préserver cette illusion, cette utopie imaginaire de la jeunesse éternelle ?


La dualité entre ces deux réalités devient dévorante, une jalousie grandissante, comique voire grotesque. Entre Elisabeth et Sue, il ne peut en rester qu'une, la vieille à la peau dure, elle ne crève pas comme ça. La guerre est déclarée, maintenant que leur coexistence est un enfer. Une vengeance viscérale naît entre elles, perverse et choquante.


Un drame individuel perçant. Une comédie d'erreurs scandaleuse et dégoûtante, un gore gluant. Avec une façon de filmer à la fois ringarde et brillante, ce qui donne à ce film une qualité particulière, supérieure.


The Substance de la Française Carolie Fargeat est une entreprise courageuse, remarquable. L'audace et le talent de Demi Moore et Margaret Qualley apportent une profondeur et une intensité à ce film.


Même si l'exagération grotesque des corps peut parfois faire rire, elles servent à mon sens, d'allégorie à la vanité, à la lutte contre la mortalité et l'exploration de son double humain.


Cette dictature de la beauté conduit à la folie, avec toujours un prix à payer. Captive d'un rêve qu'elle voulait infini, plus puissant que la raison. Une peur et sa complice, qui ont vu ce rêve trop beau se métamorphoser en un cauchemar d'une monstrueuse vérité.

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le 10 oct. 2024

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John Rolex

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