Signe qui ne trompe pas: quand une semaine après avoir vu un (télé)film il ne cesse de vous revenir en mémoire, on sait qu'on tient quelque chose.
Alors oui, déjà sur le coup, une forte impression (un 8, quand même !). Mais teintée par des petits détails...oh pas gênants, mais quand même:
- une pièce mise en image (une seule pièce: le salon d'un appart miteux) avec tout ce que cela signifie de contraintes de mise en scène
- deux personnages un peu archétypaux (le blanc éduqué, le black ex détenu à qui Jésus parle, parfois)
- une trame à base de dialogues hautement intenses et donc... toujours sur le fil de la crédibilité.
Oui, tout cela est présent, mais très vite et irrémédiablement balayé par ce qui fait la force du projet.
- Une production HBO (chez qui les faux pas existent mais sont quand même proportionnellement assez hallucinament rares, même si, avec les années...)
- Tommy Lee Jones à la réal (Trois enterrements, merde !)
- un duo d'acteurs au sommet de leur art et en état de grâce (portés par leur sujet?)
- Enfin et surtout... un putain de texte.
McCarthy.
Cormac.
Cormac !
Avoir un tel prénom et devenir célèbre ne saurait tromper !
En tout cas, dans le cas qui nous occupe, on retrouve la quintessence de ce qui constitue l'ossature de l'œuvre du bonhomme: une noirceur ici terrible, absolue, implacable.
Le point de départ est simple: Black (c'est le nom qui lui est donné dans le générique de fin), de condition modeste, vient d'empêcher le suicide de White. Il l'embarque chez lui pour que ce dernier reprenne ses esprits. C'est à cet instant précis que le téléfilm débute.
L'heure et demi qui s'ensuit est aussi simple que tendue: au professeur qui ne cesse de dire"il faut que j'y aille", le sauveur ne cesse de de répondre "restez encore" car il sait que si le premier part, il assouvira son funeste projet.
Et ainsi, deux traditionnelles conceptions s'affrontent. Qu'est-ce qui nous fait tenir ? En quoi croit-on ? Quelles raisons pourraient nous pousser à choisir l'extrême, même après avoir bien (ou en tout cas longtemps) vécu ?
Comment coexiste-t-on avec les autres, même (surtout ?) ceux qui sont censés être les plus proches ?
Très vite, on pressent que la conversation n'ira là où tant d'œuvres ayant traité le sujet vont habituellement.
Mais on ne se doute pas à quel point.
Si les dialogues sont à la fois simples et brillants, il se permettent de ponctuellement verser vers le corrosif ou le drolatiques ("- il est mort ?" '- j'espère pour lui ! Il est enterré depuis trois ans !").
Si le personnage de Black est loin d'être simple où bâclé, c'est évidemment White qui fascine. Un homme qui n'a tenu que par son amour des arts ("are you a Culture Junky ?" lui demande rapidement Black ...et certains sur ce site pourrait se sentir concernés).
On sent McCarthy, à travers lui, donner la plein puissance de son désespoir viscéral.
Lorsque les coups de boutoirs qu'il assène à son adversaire/sauveur font vaciller ce dernier, nous chancelons avec lui, terriblement attirés vers ce gouffre terrifiant dont nous tentons depuis toujours de nous tenir le plus éloignés.
White / McCarthy impose une vision radicale, un regard implacable qui ne peut être rien d'autre qu'une version artistique d'un testament intime de ce qui pourrait arriver, de ce qui aurait peut-être déjà pu arriver. Un texte superbement servi qui va à l'essentiel, tranche jusqu'à l'os, et laisse le lecteur-spectateur dans un grand trouble.
"Comment (demande en substance White) ne pouvez-vous pas concevoir la vie comme une série d'occasions perdues, d'expériences qu'on ne veut plus renouveler, de plaisirs qui ne seront plus jamais aussi intenses... Comme une série de portes que l'on ferme, les unes après les autres, jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'une ?"
C'est ainsi qu'il débute sa mise à nu, avant d'aller beaucoup, beaucoup plus loin.
Terrifiant. Passionnant. Terrassant.
En tout cas, la prochaine fois que je me suicide, je me reverrai Sunset Limited pour me persuader que j'ai bien raison de le faire.