[Série "Dans le top 10 de mes éclaireurs" : real_folk_blues]
La poésie a-t-elle besoin d’être explicitée et illustrée de façon littérale ?
Une fulgurance surréaliste renvoie, dans un texte d’Eluard, à notre appréhension propre, dans les méandres informulés de notre imaginaire. Chez Dali, déjà, leur part d’immensité me semble réduite.
Le surréalisme au cinéma souffre de cette problématique. Transposer une métaphore par une incrustation numérique est en ce qui me concerne tout sauf séduisant, et The Taste of Tea abuse, surtout dans sa première partie, de tels procédés. Poussif, interdisant au spectateur de contaminer l’univers de son propre imaginaire, il épuise sa charge poétique en un temps record.
Ce n’est cependant là qu’un des aspects de ce film à l’hétérogénéité impressionnante. Sur près de deux heures trente, The Taste of Tea va à peu près tout essayer. Si cette exhaustivité peut irriter, elle a néanmoins le mérite de toucher juste le temps de quelques séquences qui marquent.
Paradoxalement, dans un film qui propose des passages en manga, un clip déjanté, et ne cesse de surprendre par son changement de registre, c’est bien la lenteur générale qui le caractérise le mieux. Soucieux de ses cadrages, attentif aux différents membres de la famille qu’il suit, il parvient à nous rendre attachante cette communauté et propose d’émouvants décrochages qui parviennent à circonscrire l’indicible des tourments humains. C’est un volet qui claque et qui dit l’amour d’un grand père, une partie de go silencieuse pour la naissance de l’amour, ou une conversation devant un étal pour son extinction. Pudiques, silencieux, ces instants sont d’une grande pureté et fonctionnent peut-être d’autant plus qu’ils sont en contraste avec les effets poseurs du reste.
Cette alliance étrange est probablement constitutive de la culture japonaise, faisant cohabiter dans un même personnage des élans exubérants et une pudeur secrète, à l’image du grand père dont on retrouve les livrets d’animation, déclaration d’amour qui ressemble beaucoup à celle que fait le cinéaste à tous ses personnages.
Car la véritable poésie se loge dans cette épure. C’est celle, délicate, du regard d’un amoureux, éconduit ou sur le point d’être regardé à son tour ; c’est l’ennui délicat d’une enfant sur la terrasse en bois de sa maison, et le son du jardin qui l’entoure.
(7,5/10)