Vraiment curieux et gonflé
petit film inde sans prétention, the Tenant Downstairs invente son propre huis clos en mélangeant les genres avec une audace certaine et de jolies scènes. Il y a notamment deux personnages dans...
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le 13 mai 2022
Personne n’attendait quoi que ce soit de The Tenants Downstairs. Programmée en même temps que le très attendu Headshot des Mo Brothers, c’est devant une salle au trois quarts vide que s’est déroulée la première européenne du film taïwanais. Pourtant, ce fut peut-être l’un des meilleurs films asiatiques de L’Etrange Festival 2016.
Chang Chia-chun, campé par le vétéran Simon Yam (Une Balle dans la tête) est un propriétaire louant ses appartements à divers occupants aux vices variés (un père divorcé aux penchants pédophiles, un professeur de gym violent et voyeur, un adolescent masturbateur compulsif certain d’avoir des super pouvoirs…). Pervers, il les observe jour et nuit à l’aide d’un réseau de caméras. Ying-ru est une jeune femme mystérieuse habitant au sous-sol. Un soir, elle commet un meurtre. Chang, témoin, s’en retrouve aussi surpris qu’excité. Chang va alors commencer à manipuler petit à petit tous ses locataires pour faire ressortir leurs pulsions les plus profondes.
Le parcours d’Adam Tsuei est pour le moins particulier. Ancien PDG de la branche chinoise de Sony Music et notamment découvreur de Jay Chou, l’idole taïwanaise numéro un, il décide en 2001 de se mettre à son compte. Il fonde alors Amazing Film Studio, société de production basée à Taiwan. Après avoir produit trois comédies romantiques au succès commercial plus ou moins important (Tiny Times, Tiny Times 2 et Cafe. Waiting. Love), il décide de passer derrière la caméra et de réaliser son premier film, adaptant le roman éponyme de l’auteur Giddens Ko. Le moins qu’on puisse dire, c’est que The Tenants Downstairs est loin, très loin de Jay Chou et des comédies romantiques.
C’est un film pervers, invoquant pèle-mêle l’ero-guro, le torture porn et la comédie noire. Rien ne nous est épargné, et le pire, c’est que rien ne nous est expliqué. Tout semble arbitraire et improvisé, comme si Chang Chia-chun, devant ses moniteurs de surveillance, ne faisait que s’amuser avec des jouets malléables. Impression encore renforcée par le peu de caractérisation donné aux personnages, stéréotypés à l’excès : l’adolescent est un geek, le prof de sport fantasme sur sa voisine d’en dessous, etc. Le film ne va jamais plus loin, et bizarrement, cela ne le dessert pas, au contraire.
En se basant sur des clichés et des personnages assez minces, le film ne perd jamais son humour noir. Au vu de la violence et de la monstruosité des actes commis à l’écran, il aurait pu très vite tomber dans un glauque des plus dérangeant. L’irréalisme des personnages lui permet cependant de rester dans l’amusement grand guignol. La grande réussite du film est en effet son casting, qui par sa qualité et son charisme général, permet au spectateur de s’impliquer dans ces personnages et de les apprécier malgré leur grossièreté d’écriture.
Tous impressionnants, les acteurs portent le film sur leurs épaules et impressionnent. Simon Yam, fidèle à lui même, est excellent et impressionnant de dévouement, impeccable dans la folie aussi bien que dans la fragilité. Lee Kang-sheng, l’acteur fétiche de Tsai Ming-liang, est d’une justesse à couper le souffle dans son rôle de père de famille cachant au monde une relation homosexuelle avec un homme beaucoup plus jeune. On pourrait argumenter que de telles performances sont attendues d’acteurs de ce standing, mais lorsque l’inconnue Ivy Shao, seulement aperçue jusqu’ici dans quelques drama locaux, livre dans le rôle de Ying-ru une performance glaçante digne de Shiina Eihi dans Audition, alors il est clair qu’Adam Tsuei est un excellent directeur d’acteurs. C’est aussi un réalisateur talentueux. Les plans sont soignés, les images sont belles et l’ambiance est posée de façon très efficace.
L’autre tour de force de ce film est d’instaurer une double lecture passionnante et pertinente sur le métier de réalisateur. Si le roman de Giddens Ko met en lumière la mentalité de Chang Chia-chun et la raison de ses actes, le film ignore tout cela. Si un personnage meurt, c’est que Chang l’a écrit, si un couple se forme, c’est que Chang l’a décidé. Il suffit de voir cette merveilleuse scène située au milieu du film pour comprendre. Devant son mur d’écrans de surveillance, il se livre à une imitation de chef d’orchestre tout en observant ses locataires, changés par les actes manipulateurs qu’il leur fait subir. Chang est le metteur en scène du théâtre qu’est devenu son immeuble. Il décide, tout comme un réalisateur, qui vit, qui meurt et qui deviendra fou.
The Tenants Downstairs est donc un excellent film. Maîtrisé, drôle de bout en bout et impressionnant de noirceur, il rappelle les meilleures heures de la catégorie III hongkongaise. Il ne laisse jamais la comédie prendre le dessus sur la violence, toujours malsain, mais jamais sans une touche d’ironie. C’est sans aucun doute l’un des meilleurs film asiatiques de l’édition 2016 du festival. Adam Tsuei montre que malgré son statut de débutant à la réalisation, il maîtrise codes et techniques dans un film qui aurait mérité plus d’exposition à l’international et plus de publicité à l’Etrange Festival.
PS : S’il vous plaît, arrêtez le film deux minutes avant la fin et oubliez la présence du twist final ridicule que nous omettons ici. Ce serait bête de gâcher une heure et demi de plaisir à cause de deux maladroites minutes non ?
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le 1 oct. 2016
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