Un grand bravo, et un immense merci.
Il est assez rare de voir en salles des films à sketches pour ne pas se jeter immédiatement dessus, surtout quand la bobine est co-produite par notre Jean-Pierre Putters national (JPP pour les intimes, et si vous ignorez qui il est, ouvrez votre livre d'horreur à la rubrique « comment se pendre avec réussite »).
Minimaliste dans ses intermèdes, qui par une magie assez étonnante glacent le sang avec ses acteurs mimants poupées mécaniques (menées par Udo Kier, icône du cinéma de genre), le tout nous plonge dans un premier sketch qui lui n'est pas des plus rassurants. Non pas qu'il vous pousse au cauchemar, mais son approche Lovecraftienne est si ratée dans ses visuels et dialogues que le rire prend le pas, ou pire, l'indifférence. Une mise en bouche assez décevante, surtout venant de Richard Stanley (que vous pourrez retrouver dans une prochaine compilation de sketches, The Profane Exhibit, aux côtés d'Uwe Boll et Yoshihiro Nishimura), mais tout change dès le deuxième, I Love You, dirigé par Buddy Giovinazzo, autrefois une référence avec son Combat Shock, mais tombé dans l'oubli depuis. Cet I Love You, bien que souffrant d'un manque d'originalité dans son dénouement qui rappellera inévitablement Memories de Jee-woon Kim (du recueil 3 histoires de l'au-delà), se rattrape grâce à une mise en scène fabuleuse et une interprétation de très grande qualité, prouvant que Giovinazzo ne s'est pas empâté avec ses années, même si sa filmographie récente n'a rien de mieux à fournir que des épisodes de Tatort.
Puis, comment tenter de produire l'ultime recueil d'histoires si l'on a pas dans sa manche l'As qui mettra tout le monde au tapis, en plus de ravir une assemblée de spectateurs qui ne demandaient que ça ? La voilà, et c'est Tom Savini, qu'il est inutile de présenter, et qui comme vous l'aurez deviné, s'attelle au segment le plus grand-guignol (puisque c'est le sujet même de cette bobine), Wet Dreams, avec du vagin en pince de crabe qui scalpe les pénis et les serre en guise de petit déjeuner. Du dégoûtant puissance 10 placé au milieu afin de proposer un instant de légèreté et de rires noirs à un public qui méritait bien une petite pause « humour » après un segment des plus sombres, du moins jusqu'à ce qu'arrive The Accident. Dirigé par Douglas Buck, davantage spécialisé dans le drame, ce qu'est d'ailleurs cette partie, il se plonge dans la découverte de la mort au travers des yeux d'une fillette, témoin d'un accident de la route, où un motard perdra la vie en percutant une biche. Extrêmement dur, chaque plan est chargé d'une immense tristesse aussi bien que d'une poésie funèbre poignante, disséquant avec maestria les questions que se pose la jeune fille, et les réponses données par sa mère, le tout étant monté sous forme de cuts passé/présent. C'est beau, affreusement mélancolique, et il est difficile de rester insensible à certains plans, dont ceux affichant le père du motard, interprété par Jean-Paul Rivière, totalement muet, mais dont le regard suffit à rendre tous mots inutiles.
La suite continue dans le morose, cette fois-ci totalement imaginaire, avec une jeune femme s'appropriant les souvenirs de ses victimes, chose la rendant totalement junkie. Ce passage, dirigé par Karim Hussain, directeur de la photographie de la plupart des parties du film, ainsi que de bobines comme Territoires ou Hobo with a Shotgun, est une version dissimulée et fantastique de la descente aux enfers que peut provoquer une drogue, d'où le terme « junkie » employé plus tôt. Le dialogue est le même que celui des dépendants, ça nourrie un but, c'est pas une dépendance, je n'ai rien à voir avec les autres drogués, avant de finalement ramener à la même conclusion, on chie tous au même endroit. Un développement pas forcément subtil pour celui qui a déjà parcouru le sujet, mais il sera cependant clair qu'une chose mettra d'accord toute l'assemblée, les extractions puis injections rétiniennes sont d'une répugnance qui ne seront pas sans rappeler Crime à froid ainsi qu'évidemment, Un chien andalou.
Le dernier, Sweets, est une sorte de pochade complètement tarée et boulimique, où chaque instant est l'occasion de pouffer de rire. Il serait bon de savoir pourquoi voir des personnes faire n'importe quoi avec de la bouffe pourrait avoir un quelconque intérêt, si ce n'est aucun, et la raison est simple, le couple Tree Carr et Adam Carr sont aux commandes de toutes les phases artistiques, et devant un tel contraste de gothique et de flashy il n'y aurait qu'une maigre barrière à franchir pour dire que nous tenons les deux esthètes les plus créatifs de la branche, renvoyant Tim Burton aux antipodes du genre. Qui plus est le gore n'est pas absent, et ce mélange si puissant ne fait que nous conforter dans l'idée que Sweeney Todd aurait pu être un bon film avec eux à la déco. Quoiqu'il en soit, comparaison mise de côté, David Gregory, aux commandes de cet acte, nous prouve que pour une fois il peut sortir la tête de ses documentaires racoleurs et featurettes et nous livrer un produit pimpant comme son titre, brillant comme l'hémoglobine, et terminer sur une touche rimant avec le concept de ce recueil, le grand-guignol.
Il va donc sans dire que The Theatre Bizarre est la compilation absolue qu'attendait une vaste partie du public, les friands du genre étant légion, mais souvent déçus par des productions d'une médiocrité presque sans limite (Scream Show en est un bon exemple), si ce n'est Trick 'r Treat, relevant un niveau qui semblait si bas qu'il effrayait tout producteur un peu sérieux.
Le genre n'est donc pas mort, il va mieux. Néanmoins, il sera bon de savoir que cette pellicule s'adresse à ceux qui ont connu le genre durant ces 20 ou 30 dernières années. En effet, nous sommes loin du mélange gore/humour que les teens souhaitent pour une soirée d'Halloween. En fait hormis le premier, The Mother Of Toads, très cheap (les jeunes filles hurleront rien que par les close-ups de crapauds), ainsi que celui de Savini, le reste est bien trop mature, intelligent — voire même décadent — pour combler cette tranche du public.
The Theatre Bizarre est un recueil adulte, réfléchi, s'adressant à des spectateurs l'étant tout autant et cherchant dans ce genre autre chose qu'une simple bobine pour rigoler en fin de soirée tout en mangeant des chips. Pas de décors à deux balles ni de direction artistique niveau universitaire, The Theatre Bizarre est une petite production mais gorgée d'intervenants de talent qui se sont attelés avec amour à la lourde tâche qu'était de propulser un film à sketches en salles, pari presque impossible, le manque de sérieux de la concurrence ayant fait du genre un des abonnés du direct-to-video. Un grand bravo, et un immense merci.