Des milliers d'années qu'elle était là dessous. Qu'elle attendait bien sagement. Qu'elle attendait que quelqu'un vienne la libérer.
Sous des tonnes de glace depuis si longtemps, elle surveillait. On dit que les virus ne survivent pas à l'épreuve du grand froid mais c'est bien plus qu'un virus. Bien plus.
Ce sont des Norvégiens qui l'ont trouvé.
En fouillant la glace, cette glace millénaire pleine d'histoire, cette mémoire de l'eau congelée où tout y est conservé intact. Cet Antarctique glacé et immaculé, cette lumière tellement pure qu'elle te brûle les rétines.
C'est dans cette sainte blancheur que la chose obscure va s'épanouir.
Dans cet enfer blanc, un point noir au loin.
Un chien affolé courant sur cette neige vierge, des coups de feu qui résonnent dans le vide, un hélicoptère qui sort de derrière une dune de glace.
Elle voyage avec ce chien la chose, dans ce chien, tapie dans les chaudes entrailles de la bête.
Les Norvégiens le savaient eux, mais c'est trop tard. Les Américains vont l'apprendre.
Voir la crainte des autres chiens sentant arriver leur nouveau camarade dans le chenil.
C'est cette peur animale, instinctive qui les font hurler à la mort, qui les font s'écorcher les babines en tentant vainement d'arracher les fils de fer de leur cage.
L'instinct ne trompe jamais.
La chose veut sortir, elle manque de place dans ce pauvre chien.
Elle a tout dévoré à l'intérieur, il ne reste rien, des organes en décomposition et des os gélatineux. Tout est absorbé.
C'est une masse informe, glaireuse, tentaculaire qui déchire ce chien de part en part. C'est l'horreur qui dégouline du ventre de la bête.
Tout prend vie, l'inerte se met à bouger. Chaque partie du corps est dotée d'une vie propre.
La chose est lâchée, avide de corps frais à ingérer, à répliquer.
Lâchée dans cette station polaire perdue au beau milieu d'un continent gelé où rien ni personne ne viendra s'interposer entre elle et les hommes.
C'est un sommet de paranoïa sur pellicule.
Carpenter resserre l'immensité glaciale et offre un huis-clos tendu et malsain. Cette station polaire menacé par l'inconnu, hantée par l'invisible.
Cette peur qui naît de partout, de n'importe qui, qui ne desserre pas son emprise.
Une horreur inexplicable, une mutation des corps abominable comme si l'enfer remontait à la surface.
Une fin du monde terrifiante où l'humanité passe sous le scalpel "Lovecraftien" d'un diable informe, d'une chose sans visage et sans âme.
Cette peur qui s'insinue partout, qui accuse tout le monde, qui te fait douter de toi-même.
Il n'y a plus de repères nulle part, le blizzard violent empêche une vision claire et enferme les peurs dans ces "algecos" désincarnés.
Tes amis ne sont plus tes amis, juste des carcasses remplies de saloperies dégoulinantes qui te sautent à la gorge pour faire de ton corps un nouvel abri.
C'est l'apocalypse qui nous est offerte.
La fin d'un monde, non pas pour un nouveau mais pour le néant, pour le vide.
Il n'y a plus d'espoir. Il n'y a même plus le doux réconfort de la mort. Le paisible trépas venant tout effacer, le corps enfin allongé, reposé.
La paix n'est plus.
La paix des corps, la paix des âmes n'existent plus.
La chose a tout absorbé.
Elle a digéré les corps et les âmes et a répliqué la mort pour en faire un enfer.