Une réalisation sans faille, des thèmes forts servis par un casting de rêve et des effets spéciaux efficaces dans des paysages somptueux, tout cela ne suffit malheureusement pas à insuffler à The Tiger une étincelle de vie. En dépit de ses qualités formelles, le blockbuster demeure trop plat pour vraiment captiver, engoncé dans de nombreux clichés.
Il serait bien malaisé de se montrer d’emblée hostile vis-à-vis de The Tiger. Le nom de Choi Min-sik n’y est évidemment pas pour rien, et les montagnes enneigées, superbement filmées, qui servent de cadre au film rappelleront sans trop de mal le brillant The Revenant d’Iñárritu. Cependant, même avec de telles cartes en main, reste encore à savoir les abattre, et force est d’admettre que Park Hoon-jung ne parvient pas à les exploiter pleinement. Si les images ne manqueront pas de faire leur effet, le film ne prend pas du point de vue émotionnel, et nous laisse dans une indifférence polie vis-à-vis des destins des personnages.
L’histoire qui se joue est le bras de fer entre l’homme et la nature qu’il cherche à asservir, magnifiquement incarnée dans la figure d’un tigre particulièrement puissant qui fait office de tête à abattre. La bête, réussie faute d’être pleinement convaincante, concentre dans ses courbes félines une férocité noble qui lui vaut bien son surnom de Seigneur de la Montagne. Ce rapport de force, dans lequel l’homme n’hésite pas à mettre la forêt à feu et à sang dans la poursuite de ses objectifs égoïstes, évoquera sans mal Princesse Mononoke, d’autant que notre tigre n’a rien à envier aux Dieux animaux qu’y dépeignait Miyazaki Hayao. Il ressort de cet affrontement un sentiment d’injustice flagrant qui ne peut que faire grincer des dents, mais dont les personnages ressortiront bien évidemment moralement indemnes.
En effet, en arrière-plan, un deuxième rapport de domination enclenche l’engrenage : il s’agit de l’occupation japonaise en Corée, qui justifie cette volonté de conquérir une faune et une flore jusqu’alors respectées par les locaux. Bien qu’il ne soit pas question ici de nous parler de Résistance (Kim Jee-woon s’en charge déjà cette année avec The Age of Shadows), le film ne manquera pas de souligner la cruauté des hommes du Soleil Levant, piétinant traditions et croyances dans leur idéal suprématiste, et transférant ainsi de manière bien pratique la question de la responsabilité à un joug nippon déshumanisé tandis que le peuple coréen se lamente, impuissant. La représentation monolithique de l’envahisseur, qui fait écho à notre grand ami national le nazi, est bien loin de la complexité et de l’ambivalence de la Dame Eboshi de Miyazaki, et laisse un désagréable arrière-goût de facilité scénaristique.
Une fois établies les grandes lignes de ce conte vient le moment de s’intéresser à ses protagonistes. C’est, hélas, là que le bât commence à véritablement blesser. Des personnages, on n’aperçoit jamais que la surface, et en dépit de quelques incursions dans le passé nous éclairant sur leur situation présente, la charge émotionnelle nous parvient toujours affaiblie, si bien que rien ne les élève jamais au-dessus de leur fonction de simples pions faisant avancer le scénario. Même Choi Min-sik ne parvient pas à émouvoir dans son rôle de vieux chasseur esseulé ce qui, pour un interprète dont le talent n’est plus à démontrer, est symptomatique d’un problème plus général dans l’écriture des personnages.
C’est que le tout manque d’authenticité. Trop englués dans leur fonction symbolique et narrative sans doute, les humains se contentent de répéter des gestes et des dialogues aux contours émoussés par mille films déjà. Les situations qui les lient et les mettent en action sont d’une banalité à toute épreuve, et désir de vengeance, culpabilité, amour et volonté d’émancipation viennent s’inscrire poliment au rang des motivations sans parvenir à dessiner la moindre vague sur la surface d’une production trop lisse. Pire : la manière qu’ils ont d’être systématiquement introduits sous forme de révélations laisse croire qu’ils ont sincèrement été pensés comme des éléments forts, supposés attendrir le spectateur, alors qu’on les anticipe sans difficulté, quand on n’en présume pas franchement dans l’équation de base.
Il n’est pourtant pas besoin d’un scénario original pour faire un blockbuster qui sorte du lot. Yeon Sang-ho nous l’avait prouvé plus tôt cette année avec son excellent Dernier Train pour Busan, et Na Hong-jin semble s’être fait une spécialité de réaliser des films redoutables à partir de trames classiques, de The Chaser à The Strangers. Non, le problème semble ici plutôt provenir de l’écriture dramaturgique. En particulier, si les deux réalisateurs suscités savent s’illustrer par leur maniement de l’humour, les rares situations portant ici à rire semblent forcées au point d’en devenir crispantes, et reposent exclusivement sur des dialogues dépourvus de finesse ; or faute de contrepoids comique le tragique a d’autant plus de mal à convaincre. C’est que cette quasi-absence d’humour plonge le film dans un premier degré acharné dont il n’est pas capable de soutenir le poids.
Il est, dans ce contexte, un élément particulièrement irritant, bien que la beauté du film repose en bonne partie sur lui : l’humanisation à outrance du tigre. Il se voit attribuer au fil de l’histoire nombre d’attributs émotionnels et intellectuels humains qui, s’ils ne sont pas totalement sans fondement, sont exagérés jusqu’à en faire un personnage à part entière, dont les rouages psychologiques sont ironiquement plus détaillés que ceux de ses antagonistes bipèdes. Cet élément vient précipiter The Tiger aux frontières du Merveilleux, et s’ils n’étaient quelques scènes d’éclatement de férocité – néanmoins bien moins marquantes que le combat avec l’ours de The Revenant – on pourrait presque croire ce film adressé à un jeune public. Dans cette veine précisément, Jean-Jacques Annaud avait pourtant réussi avec Deux Frères à raconter une histoire – certes clichée au possible – dont les héros étaient des tigres sans départir ces derniers de leur nature profondément animale. Peut-être étaient-ils d’ailleurs d’autant plus émouvants qu’ils en conservaient une noblesse singulière.
En somme, on ne peut que regretter un résultat si peu excitant au regard des cartes qui ont été battues. Si The Tiger n’avait probablement pas le potentiel de marquer véritablement cette année cinématographique, il y avait du moins de quoi espérer un divertissement éclatant qui saurait plonger le spectateur dans deux heures vingt d’apnée spectaculaire. Au lieu de cela, il gaspille sa force lyrique en lieux communs et nous laisse d’autant plus sur notre faim que, faute d’unité de temps, il est incapable de construire un climax efficace. Des flash-backs malvenus rompent en effet le rythme du film, comme s’il était incapable d’exposer son propos dans une seule temporalité, exercice qu’aucune complexité ne vient justifier. A la sortie, si le résultat est loin d’être franchement mauvais, il l’est tout autant d’être bon, et les chasseurs de cinéma que nous sommes risquent de trouver bien dérisoire ce nouveau trophée à accrocher à leur profil.