Une métaphore esthétique au goût d'inachevé
S’il est un reproche que l’on ne pourra formuler à l’égard de cette critique, c’est qu’elle serait aveuglement hostile au cinéma contemplatif qu’est avant toute chose « The tree of life », pour la simple et bonne raison que c’est le premier film de Terrence Malick que je vois.
Conscient que l’objectivité n’existe que dans les écoles de journalisme que je me suis gardé de fréquenter, c’est néanmoins débarrassé de tout a priori que j’ai découvert, il y a deux ans, son univers étrange et envoûtant. Métaphore qui balaie en un tourbillon de couleurs la naissance et la mort, il ne choquera personne d’écrire que « The tree of life » est une fable esthétique des plus élaborées sur la vie. On y suit avec une fascination non dissimulée celle du jeune Jack (Hunter McCracken), qui grandit entre un père autoritaire (Brad Pitt) et une mère aimante (Jessica Chastain), qui lui donne foi en la vie.
La splendeur des images comme triées sur le volet est bien ce qui frappe en premier. Captive. Hypnotise même tant le premier arbre rencontré, la première rivière croisée semblent magnifiés. C’est comme si Malick avait un don pour embellir la nature qui peut si souvent paraître quelconque voire fade à celui ou celle qui ne sait la contempler. Oui, « The Tree of life », expérience sensorielle à part entière, est incontestablement un beau film. Et même souvent majestueux tant il est rare qu’il nous soit donné d’admirer une telle pureté à l’écran.
C’est ce qui fait sa puissance. Mais aussi sa limite. Car devant un tel spectacle d’adoration, on est en droit d’exiger que (tout) le reste soit à la hauteur, à l’image de la musique cosmique composée par Alexandre Deslpat, qui ne faillit pas. Le problème majeur de ce paradis filmé du goût, du toucher, de l’odorat, de l’ouïe et bien sûr de la vue, n’est pas vraiment sa lenteur. Dame nature inspire suffisamment de respect pour ne pas qu’on songe à s’en offusquer, ni même à s’en agacer. N’en déplaise au spectateur assis la rangée devant la mienne.
Le souci premier de l’œuvre de Malick ne réside pas dans le fait que l’on ne comprend pas toujours ce que l’auteur, multipliant les métaphores au travers des réminiscences du gamin devenu adulte (Sean Penn), cherche à nous dire. Non. Le défaut essentiel, et à ce niveau là de stimulation comparable à de la traîtrise, c’est que le fond ne suive pas la forme. Que l’histoire ne soit pas du niveau de l’enveloppe enchanteresse. Abasourdi par le visuel, l’on n’est, à regrets, jamais vraiment captivé par se qui se passe autour. La faute peut-être à trop d’emphases. Sans doute trop de flash-back. Et pas assez de récits à l’image des dialogues d’un film de 2h18 qui doivent, si l’on y regarde de près, tenir sur une feuille de papier A4.
Il est du coup hasardeux de juger de l’entière performance des acteurs qui auraient largement mérité l’attention du réalisateur rêveur. Mais Malick n’en a cure. Ce qu’il se complait à filmer, c’est le dehors, le monde qui nous entoure, nous aspire. Obsédé par lui, il en devient parfois trop démonstratif. Répétitif. Comme quand il filme certes magistralement mais pour la 7e fois (j’ai presque compté), la cime d’un arbre vue du tronc. Il parait qu’au départ « The tree of life » devait durer plus de quatre heures. Malick ne s’est pas assez raisonné. Etait-il nécessaire de digresser une vingtaine de minutes sur la genèse du monde et des dinosaures d’antan ? C’est comme si Malick s’était lui-même laissé engouffrer par l’ambition démesurée de son œuvre. Au point qu’au bout d’une heure à peine, on frise l’overdose de beau.
Il ne fait aucun doute que “The tree of life” laissera une trace indélébile dans l’histoire du septième art. Mais avant tout pour sa photo et sa Palme d’or. Il est déjà temps de le regretter.