The Truman show donne à voir la télé-réalité poussée à son paroxysme, l’expérience ultime et totalitaire du direct permanent d’un reality-show suivi en mondovision par les spectateurs voyeurs, accros et impudiques de notre immense village planétaire : des milliers de caméras espions traquent jour et nuit depuis sa naissance et à son insu les faits et gestes de Truman BURBANK- formidable Jim CARREY, son meilleur rôle - adopté trente ans auparavant par une société de production pour servir de héros à un feuilleton scénarisé, interprété par des acteurs manœuvrés à distance, en marionnettes.
« Même si le monde dans lequel il évolue est plus ou moins artificiel, en ce qui le concerne, Truman ne triche jamais, aucun script, aucune note, ce n’est pas toujours du Shakespeare mais c’est authentique, c’est la vie d’un homme ». Comme il l’analyse, l’environnement de Truman est placé sous le contrôle jaloux et impitoyable du réalisateur Christof (excellent Ed HARRIS), mythique télé-visionnaire surplombant dans sa Lune-régie la scène immense du grouillement d’êtres enfermés dans leur Caverne, sous le dôme du gigantesque studio de l’île de Seahaven. Démiurge tout-puissant, dictant à chacun ses répliques et commandant en maître du ciel au soleil, aux éléments et aux tempêtes.
Un monde de supercherie que Truman finira par déchiffrer, le spot de l’étoile Sirius détaché de la voûte tombant à ses pieds, l’image en œilleton des caméras, les personnages au regard complice tourné vers nous pour vanter la société de consommation et vendre les dernières merveilles des publicistes. Sylvia tentera par amour de lui révéler la manipulation « Tout le monde te regarde. Sauve-toi et viens me retrouver. Ce sont des simulateurs, ils jouent la comédie en permanence. Tout est faux ».
Le doute s’installe en lui d’une gigantesque conspiration jusqu’à son éveil au monde et son évasion en mer. Le bateau de Truman va s’encastrer dans la paroi du studio et en marchant sur l’eau, superbes images finales et suspense mondial, il se dirige vers sa liberté, délivré de la tutelle du réalisateur-Poseidon déclenchant la fureur des flots contre sa créature qui a osé le défier. Il tente alors désespérément de le retenir une dernière fois « Tu es le héros, rien n’était vrai. Mais tu trouveras dehors les mêmes mensonges et les mêmes supercheries alors que dans mon monde tu n’as absolument rien à craindre. Ta place est ici avec moi. » Truman quitte la fiction et franchit la porte de sa caverne.
Les Grecs il y a deux millénaires en avaient fait une tragédie : les Dieux de la mythologie, là-haut, sous prétexte de justice immanente, se distrayaient de nous voir interpréter en direct, sur notre infime îlot d'univers, les grandes scènes du théâtre de nos vies, en jouets de la divinité, sur les scénarios d’une fatalité écrite d'avance.
Ce film prémonitoire d’une société sous surveillance constante de big Brothers, représente l’ultime métaphore de notre monde sous son frêle dôme, régi par l’instantanéité, la plongée dans le voyeurisme des télé-réalités et les injonctions de transparence de nos existences et de nos données partagées sur les réseaux planétaires. Pour finir sur un hymne à la liberté et à notre libre arbitre, la fin de nos aliénations, les Dieux déchus définitivement relégués dans le lointain de leur sphère céleste.