Critique qu'il serait bon de réécrire...
Vous n’avez jamais eu l’impression que tout était déjà écrit ? Que votre vie était tellement banale et prévisible que vous n’aviez plus aucune influence sur elle ? L’être humain n’a jamais la volonté d’être passif, de se laisser porter par la vie sans y faire grand-chose. C’est pourtant le cas de chacun d’entre nous : le choix n’est qu’une illusion. Car après tout, on construit bien sa vie sur une suite de rencontres fortuites, et chacun de nos actes, chacune de nos idées sont tellement influencés qu’ils ne proviennent probablement pas de nous-mêmes.
Tel est la vie de Truman, répétant inlassablement les mêmes actions chaque jour, prisonnier de son quotidien et du lieu dans lequel il vit. Non pas que sa vie soit morne ou déprimante : il a toujours le sourire aux lèvres, son meilleur ami lui rend toujours visite avec quelques bières, et sa femme l’aime tendrement. Cependant tout cela est terriblement oppressif, et il lui semble que quelque chose cloche. Serait-ce la mort de son père dans de terribles circonstances, ou bien cette rencontre brève mais inoubliable avec une certaine Lauren ? (à moins qu’elle ne s’appelle Sylvia…). Alors que son rêve de partir aux îles Fidji semble irréalisable, Truman se dit que ce n’est définitivement pas de sa faute si tout lui semble artificiel… Le déroulement du récit tient dans une première partie à un pur sentiment de jubilation hilare, porté par la magnifique interprétation de Jim Carrey. On suit les déboires et les pitreries de Truman avec le même rire enjoué que dans un épisode de Mr. Bean, ici décuplé au centuple, il est utile de le préciser. Puis, l’intrigue tend de plus en plus à l’universel autant qu’elle déploie sa force poétique, avant une conclusion admirable.
Le spectateur, parfaitement conscient de la manipulation à grande échelle que subit Truman, se place dès les premiers plans en tant que voyeurs, au même titre que les millions de téléspectateurs du monde entier de l’émission The Truman Show. Une mise en abime déroutante et fascinante d’où découle cette mise en scène si particulière et déstabilisante dans un premier temps, qui prend tout son sens au fur et à mesure de l’intrigue. La caméra se place dans l’autoradio de la voiture de Truman, derrière son miroir de salle de bain, à travers les yeux des passants, bref, la sensation de briser la vie privée de ce pauvre Jim Carrey est omniprésente. Cela représente sans aucun doute une certaine critique des médias, mais le film va bien plus loin : il déplore une uniformisation de la société. Pourquoi des millions de personnes seraient autant captivés par la vie d’un type aussi banal, si ce n’est par désir mimétique ? Celui de ressembler coûte que coûte à la majorité, et de vivre le plus normalement possible, sans esbroufe, mais aussi sans peur de l’inconnu. Il n’y a qu’en brisant ses repères habituels qu’on peut accéder au véritable bonheur, peut-être est-ce ce qu’il faut retenir du film. Mais chassez le naturel… Il revient au galop ! Alors comment se dépêtrer définitivement de cet ennui du quotidien ? La question reste insoluble.
Et le film n’en reste pas moins terriblement enthousiasmant, aussi bien dans son scénario magistralement écrit par Andrew Niccol, qui pousse fortement à la réflexion, que dans la réalisation atypique et novatrice de Peter Weir, développant un univers dense et inoubliable. La très courte apparition de Philip Glass donne une aura supplémentaire à l’œuvre, mais pas autant que son héritage artistique. De la scène d’introduction de « La Grande Aventure LEGO » au rôle d’Ed Harris dans Snowpiercer rappelant celui qu’il tient dans « The Truman Show », les références et inspirations au film de Peter Weir sont nombreuses. C’est aussi cela qui fait la marque des chefs-d’œuvres…