Il y a bien un tordu un peu coupable en moi qui mettrait volontiers un 6 à Untold Story. Mais le peu qui reste de raisonnable ou de sain n’arrive pas à dépasser le 5. Non pas que la violence crue du film ne me dérange (ce qui n’a rien de rassurant quand on y pense, mais j’y reviendrai) ; je ne m’attendais pas non plus à une œuvre ayant une quelconque prétention intellectualisante cachée derrière une accroche volontairement scandaleuse.
C’est de la Cat. 3, hein.
Mais il y a ce petit truc là, cette petite écharde qui dérange un peu.
C’est pas tant la forme en elle même… Moi j’aime bien le pur grain 90’s des péloches asiatiques, j’aime cette photo qui flatte le bleu un peu partout en contre jour ou en arrière plan, j’aime les néons blafards et les lumières malades. En plus y a de la caméra à l’épaule sans parkinsonien pour la tenir, et ça se permet de se montrer malgré tout dynamique, un peu énervé.
C’est pas tant l’histoire non plus... De toute façon c’est tiré de faits réels, et on sait bien que la vie n’a ni queue ni tête, ce qui tombe bien pour une affaire de découpage de corps. Et puis ça commence aussi violement que ça se termine, avec cette cruauté et cette fatalité pas piqué des hannetons qui évoque la violence pure et bien réelle que le monde ignore à chaque seconde. Tiens par exemple, pendant que vous lisez mes conneries bien au chaud quelque part quelqu’un est peut être en train de passer une coloscopie alors que les effets de son anesthésie se sont dissipés prématurément.
C’est pas tant la violence… Franchement, voir des membres en caoutchouc baigner dans du faux sang, c’est pas ce qui m’empêchera de dormir. Tout juste ai-je frémi sur cette sordide —mais en l’occurrence judicieuse—idée de faire des brioches vapeur à la chair humaine pour se débarrasser des preuves, faisant écho à un traumatisant épisode de mon enfance*.
Bon, je dis que c’est pas tant la violence, mais quand même. Un peu.
Je n’ai rien contre la violence. Elle fait partie de la vie, de l’histoire du monde animal, de la nature humaine voire même des lois qui régissent notre univers. La violence que véhicule un film peut s’avérer être un formidable outil plastique ou idéologique, une source de dynamisme, un instrument servant à interpeller, à susciter réactions et/ou prises de conscience.
Mais il vient un moment où tout un chacun atteint ses limites.
J’ai beau être ouvert malgré une intransigeance ostentatoire avec laquelle vous êtes maintenant bien familiers, voir une famille innocente se faire décimer entièrement perd de son piquant transgressif à partir du moment où on me montre des petites filles se faire traumatiser, se pisser dessus avant de se faire décapiter.
Eh ouais, il y a un cœur qui bat derrière cet avatar blasé.
Mais attention, ne croyez pas que je m’en vais fustiger l’œuvre ou juger ses plus fervents défenseurs. Ce n’est ni mon intention, ni mon propos.
La meilleure des façons de désamorcer ce genre de partis pris à base d’ultra violence dite décomplexée est souvent l’emploi de l’humour. D’un certain humour, en tout cas.
Je fais mon sensible mais quand cet outil de dédramatisation est employé avec bonheur je suis client. Je prends pour exemple C’est arrivé près de chez vous, qui réussit en ce qui me concerne à faire passer les pires atrocités par le biais d’un humour noir au vitriol et d’un ton dont on devine toute la force sinon critique, du moins ironique. (Hein gamin !?)
Ici, c’est justement cette faiblesse dans la contre mesure qui pêche et ne suscite pas l’adhésion que je m’attendais à ressentir.
C’est donc le ton…
Pourtant friand de gags régressifs (fallait voir ma tronche en pleurs dernièrement devant les pitreries de Stephen Chow sur le Roi Singe), c’est avec une consternation franche que j’ai accueillis l’enchainement de vannes foireuses et de caricatures soit disant dénonciatrices qui plombe ce qui aurait pu être une pépite noire et belliqueuse du cinéma asiatique. C’est pas fin, c’est lourd et redondant.
Je préfère de loin les égratignures infligées aux services de police dans le coréen The Chaser, par exemple.
C’est dommage parce que Anthony Wong est (déjà) toujours aussi grand et fou, portant à lui seul le film sur ses épaules, débordant de folie et d’antipathie, jusqu’au boutiste même acculé ; un personnage insaisissable dans sa sauvagerie incompréhensible.
Il y a de bons moments dans Untold Story. Toute l’intrigue autour du restaurant, théâtre de scènes horribles et inhumaines où la paranoïa transpire des murs. L’incarcération est un grand moment aussi, on en viendrait presque à admirer l’inébranlable détermination du tueur.
Je vous le dis : c’est typé, texturé, assumé, marquant même.
Mais il y a trop d’arrière goût sur mes papilles pour être dégusté comme un plaisir coupable.
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*Figurez vous que lorsque je devais avoir aux alentours de huit ans, j’ai eu ouïe dire d’un fait divers relatant une affaire de viande humaine retrouvée dans la nourriture d’un restaurant chinois. Assez étrangement, mon esprit a associé cette sordide histoire avec les brioches vapeurs au porc dont je raffolais vendues chez le chinois du coin ; je devinais même que leur goût était celui du cannibalisme. Je n’ai plus pu manger de banh bao durant des années. Étrange coincidence…